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Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme Daniel Mendelsohn

Mardi 8 janvier 2008 à 19 h 30
Conversation avec Alain Finkielkraut
Une rencontre exceptionnelle avec l’auteur des Disparus, (éditions Flammarion), Prix Médicis étranger 2007
(notes de Mme Arlette Attali)


A.F. Celui-ci fait remarquer d’abord que par cet ouvrage D.M. a rendu sa mémoire à la mémoire de la Shoah. Certes, la mémoire de la Shoah a triomphé de l’oubli par les commémorations, les morceaux d’éloquence etc. mais au prix de l’oubli de toutes les vies individuelles jusqu’à devenir une abstraction. Il remarque qu’en anglais il y a un sous-titre : « A Search for Six of Six Millions » qui a disparu dans la traduction française.

D.M. Dans ce livre, il s’agit de la mémoire de sa famille et de sa propre histoire. C’est une histoire de larmes, une histoire sans fin. Il rappelle les épisodes de son enfance lors des rencontres avec ses grands parents et grands oncles. Son arrivée provoquait les larmes plutôt que la joie comme cela aurait dû se passer normalement. Il n’en comprenait pas la raison et c’est ce mystère qu’il a voulu percer en faisant ses recherches sur l’Histoire de la Shoah.
Et aussi il s’agit d’une recherche d’identité. « Qui suis-je ? Si j’étais l’oncle Shmiel, qui serais-je ? » . Il voulait savoir qui était son grand oncle pour l’enterrer et devenir lui-même. On veut être un individu et on fait partie d’une famille dont certains membres ont été coupés.

A.F. Les voyages de D.M. en Pologne, en Australie, en Israël, au Danemark….Quelles relations a-t-il avec ce monde qu’il rencontre ? Est-il un héritier ou un endeuillé ?

D.M. Il est les deux [héritier et endeuillé]. Il aborde ce monde sous un angle oblique car il n’est pas directement issu de survivants. Il a hérité du multiculturalisme de son grand père. L’Est de l’Europe est un grand cimetière.

A.F. Il parle de sa propre culpabilité et de celle des enfants de survivants qui eux n’ont pas fait d’enquête et qui se le sont interdits car ils n’osaient interroger leurs parents. Alors que pour lui [D.M.] c’est la culpabilité de son grand père qui lui a permis de mener cette enquête.

D.M. La plupart des gens qui voyagent en Europe sont américains. Ils ont hérité de la culpabilité de ce qui s’est passé. Il y a aussi la distance. Héritage de culpabilité et de distance. Il a voulu sauver le frère de son grand père ce que celui-ci n’a pas fait.

A.F. Aborde l’intervention des passages bibliques dans le récit pour éclairer la pensée. La Bible est essentielle à la pensée (Levinas).

D.M. La Bible intervient par accident au moment où il tente de décrire les relations entre son grand père et son frère. En fonction de sa propre expérience (il a trois frères et une soeur), il peut comprendre que les relations ont pu être difficiles. Il a cherché dans la littérature ancienne où il pouvait trouver un exemple de relation entre deux frères, ce qui l’a amené à Caïn et Abel. Ensuite cela l’a entraîné à prendre d’autres passages. D’où le rappel de Noé (histoire d’une extermination et survivant d’un monde futur) ; la destruction de Sodome ; le « sacrifice » d’Isaac. A.F. Cite Kundera L’Immortalité , livre dans lequel l’auteur parle de l’intervention divine dans le Déluge et la destruction de Sodome. Quelle est la position de D.M. ?

D.M. Lui-même est athée et ne peut admettre l’intervention de Dieu ni dans le Bien ni dans le Mal. Il n’y a pas de culpabilité en Dieu. Le texte biblique est à l’opposé des personnages qu’il a rencontrés.

A.F. aborde le dénouement du livre : la découverte de l’endroit où étaient cachés Shmiel et sa fille. D.M. a enfin compris le mot castel (« château ») qui en fait était le mot yiddish kestl (« boîte ». On ne comprend les choses qu’en fonction de ce que l’on est et de ce que l’on vit.

D.M. parle alors de la part de hasard qui a joué tout au long de sa recherche. Bien sûr il a eu recours à la technologie moderne (internet, téléphone…), mais c’est le hasard qui l’a amené à la vérité. Tout ce qu’il a appris d’important c’est par accident. Au départ il y a la volonté humaine et puis il y a le hasard. C’est cela qui produit l’histoire.

A.F. Le rôle des photographies dans le livre. Cf Barthes La Chambre claire.

D.M. [Son frère Matt, qui a pris les photos, se trouve dans la salle ] Les photos montrent qu’il s’agit d’un récit vrai et non d’un roman. Elles montrent la réalité des choses et l’évidence du crime.

A.F. Dernière chose : les larmes.
Sunt lacrimae rerum (Virgile, l’Enéide). « Il y a des larmes dans les choses ». Allusion à Enée qui pleure..

D.M. Ce que l’on sait, on l’apprend au cours du temps. Cette phrase illustre le fait que ce qui intéresse, bouleverse une personne peut laisser une autre indifférente. Nous croyons mériter de connaître la vie des autres alors que nous ne le méritons pas. L’histoire des autres ne nous appartient pas. Nous versons des larmes pour des raisons différentes les uns des autres. La Shoah ne nous appartient pas, elle appartient à ceux qui l’ont vécue.

Avec le soutien de la Fondation pour la mémoire de la Shoah

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