Mon ombre est descendue plus haut que la terre.
Faire silence n'excédera pas la lisibilité des paroles.
En contournant trop de brièvetés, l'infini du sens
se rétrécira de l'exercice de nos doigts
Y a-t-il
une mesure
aux cahiers ?
mesure
dictée
par les sonorités.
Besoin jadis d'extraire du manque absolu
la substance de l'écriture
(les doigtés invisibles de nos fleurs d'espérance)
Les cahiers se rétrécissent
des infinités sonores
laissons murmurer
la perle
de nos doigts.
Ma main plus grande que le néant
(nous y ferons fleurir les impossibles apostrophes
jusqu'aux déceptions inoubliables)
Ecrire
L'indicible.
(Qui
s'avance dans l'obscur
pour protéger l'écoute ?) L'enseignement du vent, la pensée surgie
de la voix Le souffle de l'ombre, la parole gardée
dans le
secret. Le secret n'est pas une
pensée
que l'on contemple, la pensée n'est
pas un secret
que l'on contemple. Le secret est le maître
de
la parole.
Le
nom du
maître de la césure
Ce recueil de poèmes commence dans un"jardin d'inconnaissance"et se déploie jusqu'à la"déraison des semences", comme si lecommencement du geste d'écrire était très risqué et, sans se connaître lui-même, se voilait d'une parure d'ombre. C'est chaque fois une épreuve ou un miracle lorsque l'on commence à écrire. L'écriture serait-elle une interrogation sur elle-même ?
Quel est le mouvement de cette interrogation ? La lumière soudain aperçue, se retire. Ne reste que l'ombre. C'est alors que grandit dans l'écriture l'appel d'un nom - nom divin et vocalique - qui s'écrit mais ne se dit pas, qui précède le geste d'écrire mais ne résonne qu'en lui. Comme si la lumière qui s'était retirée, revenait, mais en avance et comme changée en des sonorités, pour accueillir la matérialité et l'encre des lettres. Paradoxe d'une vision sonore où la main puise sa ressource et"se plie au mystère de la voix".
L'éclosion des paroles ne suffit pas
parfois à nourrir les hasards.
Il y faut le temps et les connaissances,
l'engrangement des réalités,
jusqu'aux défaillances surnaturelles
(les anges n'écrivent pas,
parfois ils tiennent la main).
Le bleu déchoit de sa substance à la
jointure invisible de l'air et des sources (pensivité du bleu à la limite
extrême des substances) et redécouvre le blanc dans l'espacement
des poussières. Désolement des orifices dans la
géométrisation de la substance. Le bleu y sursoit un moment. L'espace d'un
commencement où se recueillent les
métamorphoses de la patience (les jours ont compté les
jours). Poussière fille du blanc.
L'élévation noie les yeux (les sources). Il nous faut sortir des
divines
géométries. Dans le rien crie la substance, la transparence est dans
l'éclat
dispersé des mystères (y veiller). L'élévation
ne se
transperce pas de l'effroi de nos pensées Au delà du rien, l'immatériel
de cette attente, ainsi l'encre hésite à sa
source.
Le silence est plus grand que la couleur
bleue
Et d'un tremblement Je tremble encore de vous recevoir si
peu, quand votre silence habite
les
hauteurs fières et nuageuses où mon front décline, quand se parfait de vous
l'invitation
(à un voyage) et la luxuriance (dans l'explosion des mots). Alors je suis de mes yeux
satisfaits
la trace évanescente de votre souveraineté. O soyez mon généreux et
austère donateur, percevez de ma sagesse, les élans envoûtés
vers les cieux qui vous parent, sachez me défaire de trop splendides
acuités. Soyez le guide affectueux
où le silence
savoure plus que moi-même. Ce fut un matin, quand
le rose
s'épanouit au lever du bleu, que je reçus le
choc vibratoire
de votre annonce savante. Le soleil venait déposer son âme
sur le parvis des fleurs et ma jeunesse volubile
s'allégeait
aux contours de l'eau. Je pris alors le chemin
oblique par où
les décisions sans équivoque naissent à la racine
des
doigts. (le jour vient des horizons
annulés). Je perçus alors,
dans l'assemblement
de mon coeur, le juste horizon où les larmes
s'évaporent (et de ce sel descendre vers votre
annonce). Vous vous annoncez parfois
très
délicatement.
Ne pas en parler, O mon âme! Elancement et vecteur
du désir. Tu es l'enclos parfait où se murmure le nom de la prunelle de l'oeil. (Bonsoir le retour des merveilles
encloses). Le ciel s'écrit
tandis que
les jours s'élancent vers
les confins
des univers. Enclore la merveille et rêver le dessin
de tes
lettres. La piété s'accorde à la métaphore
de
ton habitacle. Et c'est en surgissant loin des trépidations, que la main se plie au mystère de la
voix.
Approche de la voix
Vous êtes un ciel et ma substance s'anéantit de vous. Prenez des oiseaux pour jeter plus haut le feu de mon âme Mon esprit brille du feu de votre extase Et de lumière je m'anéantis de vous Choisissez moi pour parfaire votre eau.
Descente dans le
mystère
de la
langue
L'élévation
de l'eau s'arrête à mon
silence, Plus loin que mes yeux, un feu qui brûle
mes mains. Au delà du néant, Je vous connais à peine (Recevez de ma rédaction
limpide, la mémoire écrite
de cette douceur). L'eau a disjoint mon âme, Et dans le soleil de cet écartement un doigt pour viser la plissure
des
lèvres. Des chardons s'alignent sur les bords des nuages (je connais à peine les mots de cette présence). Alors recevez de moi à l'ouverture de
mon front, l'espace béni où le feu se joint à ma
salive. Le désir est plus
lumineux
que la soif. Les paroles se ressourcent dans la hauteur de votre insensibilité, N'ayant perçu naguère
que le nom inusité d'une apparence flamboyante, je pris avec les racines de ma patience, les
cahiers bleus pour y puiser les ressources d'encre et de
savoir où les yeux se
confondent - et se noient les regards. Plus extasiée qu'une femme en son
âge, je suivais un chemin translucide où l'abandon de votre présence
traçait la route pour recevoir mes pas. Et de protections en puissances
outrancières, toutes les perfections
vinrent
s'étendre sur mon front silencieux. Habitant d'un signe lointain, là où naguère
le visage de feu aurait pu installer son allure et ses emblèmes, semblable à cette
parure, mon âme descend et s'éprend de ces formes
ourlées où s'élèvent mille mots de couleur Pour vous saluer et recevoir, au faîte de l'étonnement, l'avancement et le rien de votre entendement. Pour vous percevoir quand le silence me désire.
Un stylo s'appuie à la pointe de son
silence pour jouxter les mots désunis. Un stylo révèle l'essence - ou la
matière - sonore des mots, car dans ces sonorités, la
matière n'est pas différente de l'essence, (et ma main qui ne sait
encore
s'appuyer et se plier aux règles de la matière) Qui connaît le simple
commencement
d'un bruit, saurait induire la différence dans le mélange
et le surgissement de la lettre. Les sursauts transparents
sollicitent
la spiritualité translucide des yeux. Il y a des eaux qui ne sont pas le contraire de
l'esprit. Et nous chevauchons des soleils de
clairvoyance. Les mains ont parlé aux épis de
blé, et les soirs sont nés
d'un
simple entrecroisement. L'écriture connaît la
déraison des semences.
au commencement
Alain, ami très cher, lorsque tu t'effondrais sur les chemins près de moi, ou encore lorsque tremblant tu me tendais tes mains, habité d'une infinie tristesse que tu pouvais à peine nommer. Alain, homme débridé, désordonné, rayon de miel ciselé au feu de la souffrance. Entreprenant mille choses, photographies, reportages, recherches historiques, théâtre, roman, poésie,... et laissant inachevées un plus grand nombre encore! Qui aurait pu croire au vu de ton échevèlement qu'une oeuvre mûrissait en toi?
Où ton oeuvre a-t-elle commencé, Alain? Quand cette force est-elle venue en toi, précise, pour te conduire vers la perfection de petits chefs d'oeuvre littéraires que sont certains de tes poèmes et l'inoubliable"one man show"? C'était avant que ne se déclare ta maladie. L'incroyable Manifeste de la Poésie Brutaliste avait déjà secoué l'Atelier de Poésie du Mirail, et j'avais même vu dans cette année 1984, des jeunes gens se prosterner devant toi à la lecture de ton texte où tu en appelais à"tous les créateurs de l'indicible, à ceux et celles dont le rôle social actuel est le silence, les invalides des mots..."Nous ne sommes pas"un mouvement social", disais-tu, mais"un laboratoire d'idées".
Ainsi tout le monde se trompait sur toi, et peut-être toi-même aussi lorsque nous te rencontrions, être turbulent et affairé, aux prises avec toutes les autorités sociales et politiques de ce monde. Dans le même temps tu forgeais dans ton âme, le laboratoire de l'indicible qui allait habiter de longues années, ta main sûre ou tremblante, mais guidée, plus haut que soi-même, par ces chefs de laboratoires que sont les anges. C'est pourquoi, défrayant tout ce que l'on aurait pu dire de toi, tu annonçais comme un prophète, l'oeuvre à venir dont la maladie fut l'étrange et paradoxale matrice. Pauvre Monsieur Jean descendu aux Enfers comme tu nommais plus tard le roman inachevé de ta vie! Mais là où ton cerveau s'abîmait sous le scalpel de la science, ta main grandissait au laboratoire de l'indicible.
La maladie fut pour toi l'expérience d'un dépouillement raffiné et brutal où tu crus, me dis-tu un jour, dans un sourire de ravissement, reconnaître Dieu. Non, tu ne t'ennuyais pas, me dis-tu encore, dans ces hôpitaux et maisons de repos ou de retraite où tu vécus de si longues années. Années décisives pour la croissance de l'oeuvre.
Comment la maturité et la puissance de l'oeuvre peuvent-elles venir de la maladie? Comme si le fil de ton être se partageait en deux. Une part de toi pauvre et égarée, recourbée vers la terre et vers la souffrance, une autre tissant sa toile vers d'autres mondes que tu annonçais dans ton sourire. Ce n'était pas une coupure entre l'esprit et le corps pour parler savamment, mais un entrebâillement par où grandissait la puissance de l'oeuvre. Ressource pour ta fécondité lorsque tu tissais les lointains entre ciel et terre. Fébrilité plus que savante de ta main.
Et nous qui recueillons ton oeuvre, qui sommes -nous aujourd'hui? Nous, les lecteurs de ton âme.
Monique-Lise (Lilou) Cohen
La fin de ce siècle sera brutaliste ou ne sera pas !!!
Nous poètes brutalistes, nous engageons à prendre en charge le destin, l'histoire de l'humanité, devant l'inefficacité chronique de ceux qui parlent en son --- nom !!
Et nous leur disons :
- Détruisez vos armements ou nous les détruirons ! Nous avons en notre pouvoir une arme beaucoup plus redoutable que tous vos lasers et qui est le verbe !
- Raymond Borde a écrit :"Nous évoluons à la limite du tolérable, avec l'amertume d'avoir tout fait pour ça."Nous prenons acte de cette affirmation qui est et sera le point de départ de notre action brutaliste.
- Le temps des lamentations se termine ! Commence celui de la lutte finale du verbe contre vos divisions de fer et d'acier.
- Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts !
- Mais notre verbe n'est plus le verbe d'antan. Nous, nous décortiquons les mots, nous cassons le rythme des phrases, nous sommes les créateurs de l'incompréhensible brutaliste qui débouche sur l'absurde et le dérisoire, seule forme d'action véritable et vitale face à tous les fossoyeurs qui nous cernent, et nous enterrent avant de nous tuer !
- Mais nous avouons notre perplexité et notre curiosité devant la dernière invention de vos cerveaux sclérosés. Nous voulons parler de l'informatique ! Un micro-ordinateur peut-il être désormais le porte-voix de la poésie brutaliste ? Nous ne disons pas non à cette collaboration, mais attention ! Nous entendons rester les maîtres de cette technique parce que le langage informatique est un nouveau langage et que nous ne voulons pas laisser nos ennemis en user pour l'user !
Nous voyons bien ce qu'ils ont fait de la mathématique ! Raymond Borde a encore écrit :"Il est superbement fécond de rejeter et de haïr". Rejet et haine seront les axiomes de notre lyrisme. Purs, durs, clairs, nets, précis, stricts et exacts, nous serons à perpétuité sans concession.
Nos maîtres ?
Borde, Céline, Queneau, Vian, Sternberg, Jarry, Stendahl, Fourest, Dac... Crevel, Buchovski, Bougalkov, Marquel, Miro, Lautréamont, Artaud, Kafka, Poe, Cocteau, Mishima... Nous sommes les défricheurs de l'extricable !!!
En ce début de 1984, nous disons non à Orwell et à sa poésie satanique. Orwell, en sa traduction syllabique, littérale et brutaliste, ne veut-il d'ailleurs pas dire :"ou bien ?".
Nous sommes les porteurs de la poésie brutaliste.
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Mise à jour : 6 février 2005