Ephraïm Mikhaël et Bernard Lazare
Le voyant et le prophète
“Tu aurais aimé, sans doute, Marcus errant dans Géronta, et c’est pour ton souvenir que je vais dire la parabole qu’il conta et que je n’ai pas dite.” C’est ainsi que Bernard Lazare offre “A la mémoire d’Ephraïm Mikhaël” un conte : “La Vie et la Beauté”, dans le “Numéro spécial consacré à Ephraïm Mikhaël” de la Revue artistique et littéraire, L’Effort, publiée à Toulouse en avril 1897.
Quel est ce conte, quel est le sens de cette parabole que Bernard Lazare n’avait pas dite à son ami Ephraïm Mikhaël ?
Ephraïm Mikhaël et Bernard Lazare se sont connus dans leur enfance, leurs familles étaient relativement aisées et liées depuis longtemps, et elles participaient de la petite bourgeoisie juive provinciale à Toulouse et à Nîmes. C’est à l’invitation d’Ephraïm Mikhaël que Bernard Lazare quitta Nîmes pour venir s’installer à Paris. Nos connaissons leurs oeuvres communes, La Fiancée de Corinthe et Sillafrida, ainsi que leur correspondance. Tout au long de ces années de dialogue et d’amitié, il semble que ce soit Ephraïm Mikhaël qui parle alors que Bernard Lazare reste silencieux.
Et puis lorsque le jeune poète meurt prématurément, à 24 ans, en 1890, Bernard Lazare accède alors à sa vie propre. Celle d’un prophète.
Quel est le sens du silence de Bernard Lazare ? Qu’a-t-il hérité d’Ephraïm Mikhaël ? Pouvons-nous déceler dans leur dialogue, en paroles ou en silence, l’élément de judaïsme qui les conduisit, l’un et l’autre, vers la réalisation de leurs vies ? Quel fut dans leur dialogue puis dans chacune de leurs vies, le partage entre une inspiration juive et l’entrée dans la vie universelle, littéraire ou politique ?
Dédicace : “La Vie et la Beauté” (A la mémoire d’Ephraïm Mikhaël, 1897)
Cette même année 1897, Bernard Lazare publie Les Porteurs de torches chez Armand Colin, ouvrage écrit à partir de contes philosophiques publiés précédemment dans la presse. “La Vie et la Beauté” met en scène les mêmes personnages, mais ne paraît pas dans le livre. Cette parabole à la mémoire de l’ami est inédite.
Que sont les personnages présents dans ces contes ? Marcus est le philosophe dont la révolte s’exprime de façon raisonnée et consciente alors que son jeune disciple, Juste, est un révolté fougueux et spontané. Marcus vient du dehors (le pays de l’Utopie) et va vers Géronta (l’Orient mythique), mais qui est trop vieille pour ceux qui cherchent la justice. Il lui faut donc aller vers l’Occident.
Bernard Lazare avait fait trois années d’études à l’Ecole pratique des Hautes Etudes. Les sciences et traditions dont il s’était approché, étaient plus particulièrement les religions comparées, la mythologie grecque et le christianisme avec l’abbé Duchesne. Les Porteurs de torches révèlent-ils quelque chose de ces années d’apprentissage ? Etudions les noms qui sont à l’oeuvre dans ces contes. Marcus est un des noms de Bernard Lazare avant qu’il n’ait changé le sien comme le fit également Ephraïm Mikhaël. L’un s’appelait Lazare Marcus Manassé Bernard et l’autre Georges Ephraïm Michel. Le poète changea son nom dès 1886, et Lazare un peu plus tardivement.
Qui est Marcus à la lumière des études religieuses que fit Lazare ? Certains calendriers associent pour la date du 18 juin la célébration du souvenir de Saint Ephrem le Syriaque et celui des Saints Marcus et Marcellianus. Nous voyons apparaître dans cette association les noms de Bernard Lazare (Marcus) et Ephraïm Mikhaël (Ephrem). Marcus et Marcellianus, frères jumeaux issus d’une illustre famille romaine se convertirent au christianisme dans leur jeunesse. Ils subirent le martyre en 286 sous Diocletien. Saint Ephrem le Syriaque, père de l’Eglise, le plus illustre des docteurs de Syrie, vécut de 306 à 373, et composa une importante oeuvre théologique, des hymnes et des poésies. Ayant reçu le baptême à l’âge de 18 ans, il fit de nombreuses conversions, refusa les honneurs, n’accepta que le titre de diacre, et à part une rencontre avec Saint Basile, il se retira solitaire dans les montagnes. Saint Juste, évêque de Lyon de 374 à 381, horrifié par l’exécution sommaire d’un criminel qui s’était réfugié dans une église, refusa de continuer son ministère et se retira en Egypte. De ces trois figures de l’Eglise primitive, Marcus est celui qui ne choisit pas la solitude, et qui meurt pour sa foi dans la grande ville universelle.
Ne voyons nous pas également déjà, dans ces noms, se dessiner les vocations différentes des deux amis : Ephraïm, poète solitaire, et Marcus, combattant jusqu’au martyre en Occident ? Mais Ephrem-Ephraim est absent des contes de Bernard Lazare. Alors peut-être, pourrions- nous penser, son absence est le mode de sa présence. Car Saint Ephrem est comme le Géronta, le vieil homme, le zaken des textes d’Isaïe, le père spirituel qui, dans l’Eglise orthodoxe, est un modèle et non un législateur. Il apprend à son élève à cheminer en Dieu. Il n’est pas un directeur de conscience, mais il engendre à la manière du Père céleste. Il donne au fils sa propre liberté.
Ainsi lorsque Marcus essaie d’aller vers Géronta, l'icône du Père céleste, il va vers son ami, Ephraïm Mikhaël, mentor et poète, puis s’en détourne pour aller vers lui-même, vers sa propre vie. En Occident.
Lazare Marcus Manassé Bernard et Georges Ephraïm Michel voulurent, en accédant à la vie publique et littéraire, donner une résonance plus hébraïque à leurs noms en signant Ephraïm Mikhaël et Bernard Lazare, mais il n’en demeure pas moins que Marcus reste une figure de Lazare, dans une résonance cette fois occidentale et romaine.
Si les deux amis choisissent à l’entrée de leur vie d’écrivains d’hébraïser leurs noms, quel rapport y a-t-il entre la résonance hébraïque et l’aventure occidentale ? Leur oeuvre commune apportera peut-être une réponse à cette question.
Que dit le conte ? Marcus erre dans Géronta qui est l’enseignement que lui a transmis Ephraïm Mikhaël, le vieil homme, il rencontre deux poètes qui ne savent pas allier la vie et la beauté. L’un dit : “Rien n’est beau que la Vie”, et l’autre : “Rien n’est vivant que la Beauté”. Ce sont des esthètes, des esthéticiens ou des philosophes de l’art. Prisonniers d’une idée mythique de l’Orient, ils ne savent élaborer qu’une théorie littéraire. Leur littérature est un académisme, une mort. A la fin du conte le seul choix réel est d’aller vers la ville, l’Occident, où la littérature ne sépare plus la beauté et la vie : “Croyez-moi, fit Marcus : il est bon de louer la Vie et la Beauté, mais il est mieux de les faire voir agissantes et créatrices, et j’aimerais mieux les trouver dans vos poèmes que de vous les entendre toujours chanter.”
S’agit-il d’une critique de la poésie et de l’enseignement d’Ephraïm Mikhaël ? Probablement non, car Bernard Lazare dit à son ami : “Tu aurais aimé, sans doute, Marcus errant dans Géronta...” Est-ce alors comme une leçon morale sur le modèle de la fable “La cigale et la fourmi” : il faut quitter la vie contemplative de la cigale qui chante pour aller vers la vie active de la fourmi ? Peut-être non encore, car Mikhaël aurait aimé ce conte.
N’est-ce pas d’ailleurs Ephraïm Mikhaël qui invita Bernard Lazare à quitter Nîmes pour venir dans la ville, à Paris ? Il lui écrivait le 10 août 1885 : “Quand viendras-tu à Paris ?” Et plusieurs fois encore : “Si tu veux faire de la littérature, il faut que tu viennes ici secouer toi-même les gens.” (7 juillet 1886) et “Ton projet tient-il toujours, et vas-tu venir à Paris au mois d’Octobre ?” (19 juillet 1886).
Alors il s’agit probablement d’un dialogue infiniment intime entre eux. Entre Géronta, Ephraïm Mikhaël, et Bernard Lazare, le fils spirituel dont la vocation est de se détourner du père pour accéder à lui-même. C’est ce que dévoile la suite de la phrase : “...et c’est pour ton souvenir que je vais dire la parabole qu’il conta et que je n’ai pas dite.” Ce qu’il n’avait pas dit, ni dans Les Porteurs de torches ni à Ephraïm Mikhaël de son vivant, il le dit maintenant : “il est mieux de les faire voir (la Vie et la Beauté) agissantes et créatrices”.
Qu’est-ce que “faire voir” ? En quoi cela concerne-t-il, de façon semblable et différente, l’existence d’un poète et celle d’un prophète ?
Georges Ephraïm Michel (Ephraïm Mikhaël) : Toulouse 1866 - Paris 1890
Georges Ephraïm Michel est né à Toulouse le 26 juin 1866 dans une famille d’immigrés juifs arrivés à Toulouse vers le Premier Empire. Il commença ses études au lycée de Toulouse et les termina à Paris au lycée Fontanes. Licencié ès lettres, élève de l’Ecole de Chartes, archiviste-paléographe, il fut attaché à la Bibliothèque Nationale. Ses premières oeuvres parurent dans La Basoche (Bruxelles, 1884-1886), La Pleiade (Paris, 1886), La Jeune France (Paris, 1886-1887). En 1888, il écrivit en collaboration avec Bernard Lazare, une légende dramatique en trois actes, La Fiancée de Corinthe. Il fit représenter au Théâtre Libre, le 10 décembre 1888, une féerie en un acte, Le Cor fleuri, écrite avec André-Ferdinand Hérold et mise en musique par Fernand Halphen. En 1889, le jury du concours de poésie institué par l’Echo de Paris, lui décerna, à l’unanimité, le premier prix pour son poème intitulé Florimond. Il publia d’autres textes poétiques et des poèmes en prose, et fit partie des initiateurs du vers libre. Beaucoup de ses poèmes en prose, La Captive, Le Magasin de jouets, La Jonque, Royauté, Miracles, L’Evocateur, Le Solitaire, furent traduits en anglais par Stuart Merrill dans le recueil Pastels in prose. Enfin il laisse un drame lyrique inédit, Briséis, écrit en collaboration avec Catulle Mendès et dont Emmanuel Chabrier mit en musique le premier acte. Lorsque ce premier acte fut présenté pour la première fois aux Concert Lamoureux, à Paris, le 31 janvier 1897, Ephraïm Mikhaël et Emmanuel Chabrier étaient déjà décédés.
Il est mort de la tuberculose, le 5 mai 1890, à l’âge de 24 ans. C’est Bernard Lazare qui l’annonça au directeur de la Bibliothèque Nationale.
Camille Bloch, Marcel Collière, Bernard Lazare et Pierre Quillard ont édité les Oeuvres d’Ephraïm Mikhaël chez Alphonse Lemerre, en 1890. Le buste du poète réalisé par Charles Mathieu, fut inauguré le 22 juillet 1900, au cours du Congrès annuel des poètes qui tenaient leurs assises à Toulouse, cette année-là.
Puis Ephraïm Mikhaël fut oublié. A tel point que son buste ne subit jamais les mêmes outrages que celui de Bernard Lazare à Nîmes ; et lorsque les Allemands envahirent la Zone Sud en 1942, ils ne surent pas qu’ils défilaient devant la statue d’un jeune poète juif édifiée sur une des plus grandes places de la ville.
“De nous tous, avait écrit Stuart Merrill, Ephraïm Mikhaël, à l’heure incertaine de l’adolescence, fut le plus précoce. Il atteignit de bonne heure à la perfection poétique comme s’il pressentait qu’il devait plus rapidement que nous accomplir sa destinée.” Nous, c’est-à-dire ses amis : Pierre Quillard, Bernard Lazare, Stuart Merrill, André Fontainas, Saint- Pol-Roux, André-Ferdinand Hérold, Camille Darzens, Marcel Collière, Camille Bloch.
Et André Fontainas écrit dans Mes souvenirs du Symbolisme : “Pour la conduite de sa pensée, pour ce qui dépend du ton ou du son de ses poèmes, l’emprise d’aucun maître de s’y décèle, aucune influence. Mikhaël, partout, a été lui-même.”
Si Bernard Lazare, le rebelle, dit de lui-même : “Je ne suis orthodoxe en rien”, Ephraïm Mikhaël, lui, n’eut aucun maître.
Noms de familles et noms d’écrivains
La mère de Bernard Lazare, Noémie Rouget, était de Toulouse. On lit encore ces noms, Rouget et Carcassonne (le nom de la famille maternelle d’Ephraïm Mikhaël), peints sur les chaises de l’étage des femmes, dans la synagogue de Toulouse, rue Palaprat, qui fut construite vers les années 1850.
Les familles des jeunes gens étaient liées depuis le temps de leurs arrières grands-parents, et les parents embourgeoisés étaient passés d’une vie proche de l’artisanat à un statut d’industriels.
Ephraïm Mikhaël et Bernard Lazare qui se saluaient comme “cousins” dans leur correspondance, n’étaient pourtant ni cousins ni issus de germains. Peut-être pourrait-on déceler une lointaine parenté, car en France, à cette époque, dans ces petites communautés juives, il y avait une certaine consanguinité. C’est probablement à cause d’une telle fragilité, comme l’explique Elie Szapiro, qu’Ephraïm Mikhaël mourut si jeune.
Les Rouget et les Bernard figureront cependant comme petits cousins sur le faire-part de décès d’Ephraïm Mikhaël du 5 mai 1890. Et c’est Bernard Lazare, signant “L. Bernard”, qui annonça au directeur de la Bibliothèque Nationale, dans une lettre du 6 mai 1890, le décès de Mikhaël.
Leur correspondance révèle une profonde amitié et une intimité liée également aux salutations chaleureuses à la famille et à la pratique des fêtes juives. Probablement les jeunes gens pratiquaient-ils le judaïsme plus par attachement familial que par conviction, mais un tel attachement étaient suffisamment présent pour marquer régulièrement leur correspondance.
C’est à la fin de l’année 1886 que Georges Ephraïm Michel change son nom en Ephraïm Mikhaël. Il signera désormais toutes ses lettres à son ami Lazare de son nom d’écrivain. En octobre 1886, Lazare Manassé Marcus Bernard arrive à Paris à l’invitation insistante de son ami. Mikhaël va lui faire connaître les poètes symbolistes, et il s’intègre très vite dans le monde littéraire et politique. Le changement de nom en Bernard Lazare se fera plus progressivement. Il semble, d’après l’étude de Jean Philippe, Bernard Lazare tel que Péguy l’aimait, qu’il ait réellement changé son nom en 1897, à l’époque de la publication des Porteurs de torches et de “La Vie et la Beauté”. Mais en fait son nom Bernard Lazare apparaît plus précocement. Il signe ainsi avec Ephraïm Mikhaël, La Fiancée de Corinthe (1888) et Sillafrida (1889). Le poème Le Mage (1888) est dédicacé par Mikhaël à “Bernard Lazare”. Et c’est sous ce nom qu’il annonce à des amis la mort du poète en 1890, alors qu’il signe du nom de “L. Bernard” cette même annonce au directeur de la Bibliothèque nationale. En 1894, L’Antisémitisme, son histoire et ses causes est signé du nom de Bernard Lazare. Lazare Bernard mit peut-être du temps avant de devenir définitivement Bernard Lazare ; mais c’est sous ce nom qu’il est universellement connu.
Quel est le sens de ce changement de nom ? Les deux jeunes gens choisissent une résonance plus particulièrement hébraïque à leurs noms d’écrivains. Comme si, alors qu’ils avaient quitté la protection du foyer familial, comme si, alors qu’ils s’avançaient dans un monde public et littéraire où le judaïsme avait peu de place ou même n’existait pas, ils avaient besoin d’affirmer cette identité dans ce monde qui l’ignorait. On sait aussi qu’Ephraïm Mikhaël avait proposé pour la revue La Pleiade (1886-1889) où il publia presque tous ses poèmes en prose, ce titre : L’Arche d’Alliance qui fut refusé par les autres fondateurs “pour son apparence sémitique”. C’est donc son propre nom d’écrivain qui manifestera cette dimension sémitique. Mais s’agit-il véritablement d’un problème d’identité ? Que signifie l’hébraïsation du nom au moment où l’un et l’autre s’engagent dans une vie littéraire et publique ? Quelle est donc la dimension hébraïque de la signature ?
Même s’ils avaient fait peu d’études juives, et si leur enseignement religieux devait se limiter à ce que des adolescents pouvaient apprendre pour leur bar mitsva, leur entrée dans la majorité religieuse à l’âge de 13 ans, ils savaient certainement qu’à l’occasion de la fête juive de Roch Hachanah, le nouvel an, on se salue et on se souhaite “une bonne signature dans le livre de la vie”, et ils savaient certainement aussi qu’Abram et Saraï durent changer leurs noms en Abraham et Sarah pour devenir féconds, avoir un enfant et réaliser la promesse divine. Le changement de nom fait sortir de la destinée astrale, et ouvre le chemin, non pas de l’identité, mais de la fécondité. N’est-ce pas la vocation même d’un écrivain ? Ses livres ne sont-ils pas comme des fruits, des naissances ?
Le nom ne serait pas alors la clôture de l’identité mais l’ouverture à l’autre. Le nom ferme et ouvre à la fois, il fissure le sujet et le constitue comme responsabilité. La signature est la dimension éthique de l’écriture, écrit Derrida. N’est-ce pas par la signature que l’on s’engage publiquement ? C’est pourquoi ils choisirent l’hébraïsation de leurs noms à l’entrée de leurs vies d’écrivains.
Mais c’est également l’existence juive tout entière qui est marquée par une telle fécondité. On parle des “Juifs” depuis l’exil de Babylone, et la conscience juive est une conscience exilique marquée par le bilinguisme, la langue du pays d’accueil et l’hébreu, et une véritable invention culturelle dans la rencontre des peuples du monde. L’existence juive ne se retourne pas en nostalgie des origines, mais elle s’ouvre à l’avenir. A la manière de la parole prophétique. Que fut alors la dimension prophétique de la parole d’Ephraïm Mikhaël et de celle de Bernard Lazare ?
Si l’on dit aussi que le changement de nom fait sortir de la destinée astrale, on dit aussi que le nom ouvre un avenir selon sa propre signification. Ephraïm en hébreu veut dire “multiplication”, Mikhaël : “qui est comme Dieu”, et Lazare : “secours de Dieu”. Quelle fut leur fructification et d’où leur vint le secours ?
La Fiancée de Corinthe (1888) et Sillafrida (1889) :
anti-tragédie et désacralisation
Ephraïm Mikhaël avait lu l’histoire des cités grecques dans l’Encyclopédie des sciences religieuses publiée en 1877, et il en parle à Bernard Lazare dans ses lettres. Il fait également à l’Ecole des Chartes une thèse sur Richard de Saint-Victor. Bernard Lazare avait étudié les religions à l’Ecole pratique des Hautes Etudes. Leurs oeuvres portent la marque de ces études, mais aussi d’une autre inspiration.
La fiancée de Corinthe, légende dramatique en trois actes, ne put être représentée au théâtre mais fut publiée chez C. Dalou en 1888. Le récit est issu d’une ancienne légende de Phlegon Le Trallien, historiographe d’Hadrien, puis d’un poème de Goethe portant le même titre, et enfin d’un texte d’Anatole France, Noces corinthiennes, publié chez Lemerre en 1876. La correspondance des deux amis fait écho des travaux de rédaction de la pièce, du soutien de Catulle Mendès et des modifications nécessaires pour rendre la pièce acceptable au théâtre. Ce qui n’eut cependant pas lieu.
Quel en est le thème ? La jeune et belle Apollonia aime Manticlès auquel elle est fiancée. Elle est païenne, mais sa mère Béréniké est chrétienne. Manticlès doit partir en expédition sur la mer. Béréniké tombe malade, et alors qu’elle est mourante, elle voue au Christ, sur le conseil du prêtre chrétien, sa fille vierge. Apollonia qui aime sa mère, accepte et meurt. Manticlès revient. Apollonia sort du tombeau, rejoint Manticlès, au grand dépit de sa mère, et ils partent tous deux vers les dieux anciens.
Dans ce texte ni le dieu chrétien ni les dieux anciens n’interviennent vraiment. Le christianisme apparaît comme une religion de mort, et la sortie finale des deux fiancés apparaît, par delà la mort, comme une sorte de résurrection des morts.
Mikhaël et Lazare sortent de la dimension tragique occidentale. La tragédie en effet montre les hommes dans leurs rapports avec les dieux, et ne sait qu’explorer la dimension essentiellement mortelle de l’homme. La parole tragique étant le lieu où cette mortalité se dit. Ici ce n’est pas le cas, et la sortie du tombeau évoquerait plutôt ces paroles du Cantique des cantiques : “L’amour est fort comme la mort”.
Une autre pièce, Sillafrida, écrite probablement en 1889, fut représentée au théâtre enfantin de Créteil, en septembre 1890, alors que le poète était déjà décédé. L’histoire se déroule en Islande dans des temps héroïques. La belle Sillafrida, fille du roi Hialmar, promise au valeureux guerrier groenlandais Galsimund, est enlevée par le traître groenlandais Hagené qui a envahi l’île et saccagé les villes. On se préparait à célébrer les noces de Sillafrida et de Galsimund, mais il faut partir en guerre pour retrouver la belle et venger l’offense. A la fin, heureusement, tout rentre dans l’ordre grâce à l’intervention de Sir John Harrison, de la Société Royale de Géographie de Londres, et bien sûr grâce à la vaillance du guerrier Galsimund.
Matthew Screech qui dans la récente édition des Oeuvres complètes d’Ephraïm Mikhaël, commente les lettres de Mikhaël à Camille Bloch, note le dégoût du poète à l’égard des légendes germaniques et à l’égard du wagnérisme comme idéologie. Ainsi Hagené viendrait du Hagen de la Tétralogie, Sillafida serait une féminisation de Siegfried, et la pièce une parodie des Niebelungen.
Moquerie à l’égard des légendes germaniques que nous pourrions analyser comme une désacralisation, et qui est une attitude proprement juive en littérature. Le sacré, si l’on suit Henri Meschonnic, est l’illusion de l’identité des mots et des choses, ou selon Lévinas, le culte des choses et de la nature dans l’ignorance de l’humanité. Le sacré, dit encore Lévinas, est la source de toute violence à l’égard des hommes. Ces penseurs opposent, au nom de la tradition juive et hébraïque, la prophétie comme invention de l’avenir, ouverture de la parole et rencontre d’autrui, au sacré qui, comme une mort, abolit la parole.
Pourrait-on lire dans l’oeuvre d’Ephraïm Mikhaël et de Bernard Lazare cette attitude juive anti-tragique et désacralisante qui ouvre la parole prophétique ? Et si Bernard Lazare a toujours été considéré comme un prophète, pouvons-nous le dire aussi d’Ephraïm Mikhaël? La poésie est-elle également prophétie ? En quoi et comment l’écriture poétique de Mikhaël a-t-elle inspiré Lazare dans son destin propre, sa vie de lutte intense ? Quel rapport y-a-t-il entre la littérature et la justice ?
Lettres à Bernard Lazare (1885-1889) : littérature et prophétie
Ces lettres ont été publiées par Philippe Oriol puis par Denise R. Galperin et Monique Jutrin. Nous ne connaissons aujourd’hui que les lettres d’Ephraïm Mikhaël à son “cousin”. Il faut donc lire dans les paroles de Mikhaël et dans le silence de Lazare les éléments d’un dialogue qui vont conduire Bernard Lazare vers ses choix propres. Car en effet Ephraïm Mikhaël se présente un peu comme un mentor, rôle qu’il ne joue pas vis-à-vis de Camille Bloch dans une autre correspondance très régulière. On reconnaît ici le Géronta, le vieil homme du christianisme oriental, le père spirituel que Mikhaël fut pour Lazare. Il fut également comme un frère aîné pour Fernand, le jeune frère de Lazare, venu plus tôt à Paris.
Dans la première lettre datée du 10 août 1885, il écrit : “Je te tiendrai au courant de ce qui se fait à Paris dans le monde littéraire.” Le poète guide son cousin vers la littérature et également le lit et le corrige. Nous apprenons ainsi que Lazare écrit un roman dont il est question dans les lettres des 24 mars, 9, 11 et 26 avril 1886. Ce roman n’a jamais été publié, peut-être à la suite des critiques d’Ephraïm Mikhaël. Que dit le poète à son cousin ? Le sujet est trop simple et les sentiments des personnages ne sont pas assez complexes (26 avril 1886). Dans la lettre du 9 avril, il présente toute sa conception de l’écriture. La littérature, dit-il, ne peut pas être identifiée à la philosophie, elle ne peut étudier que l’homme tel qu’il s’apparaît à lui-même. Quand elle veut être transcendante, elle cesse alors d’être littérature. Toutes les littératures de tous les temps sont des études de psychologie empirique. Quels sont alors les sujets de la littérature ? La nature, telle que nous la voyons de nos yeux, l’homme tel que la conscience le montre. La littérature est une psychologie, toutes les littératures ont le même sujet, et une littérature ne peut avoir moins d’idées qu’une autre. Certainement Bernard Lazare a-t-il tiré de cet enseignement le désir de “faire voir” la vie et la beauté “agissantes et créatrices”. Mise en exposition qui ne peut avoir lieu qu’en ville, à Paris, loin des campagnes où Ephraïm Mikhaël ne reconnaissait que l’ennui, vers cet Occident que Marcus, le sage, rejoint dans un combat qu’il veut social et littéraire. Mais Bernard Lazare ne sera pas poète. Il ne répond pas à l’annonce de la publication des poèmes en prose d’Ephraïm Mikhaël dans La Pleiade. Le poète dépasse alors la division classique entre vers et prose, de la même façon qu’il s’était avancé vers le vers libre, gardant encore la comptabilité des syllabes mais supprimant les rimes. Bernard Lazare ne semble pas s’intéresser à ces innovations. Mikhaël s’en plaint à Camille Bloch. Lazare suit un autre chemin. Son oeuvre d’écrivain le conduit vers une littérature qui se confond avec l’exigence de justice d’une parole publique.
L’oeuvre d’Ephraïm Mikhaël n’en est pas moins éthique. Il énonce ses choix. Ceux qu’il aime : Flaubert et Nerval. Ceux qu’il n’aime pas : Tolstoï qui a trop de préoccupations sociales, Léopardi, Wagner ou plus exactement la mode wagnérienne, le goncourtisme, le folklore germanique qui le dégoûte et le réalisme en littérature.
Quelle est alors la dimension prophétique de l’écriture poétique ? Victor Hugo qui fut l’inspirateur de cette génération de poètes et qui voyait en Mikhaël, d’après une citation de Noël Richard dans ses Profils symbolistes, “l’espoir de la poésie française”, écrivait que les poètes ne doivent pas avoir peur d’être prophètes. La prophétie n’est pas ici une voyance au sens d’une prédiction de l’avenir, mais une exposition, un “faire voir” par où le monde se fait lisible. Nul accès à un mystère ineffable, nul académisme, mais une exigence éthique absolue par où l’écrivain est le sujet radical de cette mise en vue. “Il faut faire vrai, écrit-il,... l’intérieur est aussi vrai que l’extérieur... les pensées d’un homme sont aussi réelles, aussi intéressantes que ses actes” (lettre du 9 avril 1886). Réalisme qui ne correspond pas à l’école littéraire du même nom, car en littérature, il n’y a pas d’idées à défendre ou à illustrer. Ephraïm Mikhaël fut ainsi un poète et un prophète. Mais un visionnaire.
Dédicace : “Le Mage” (A Bernard Lazare, avril 1888)
“C’est fini, tout le jour les chevaux des Barbares / Ont marché dans le sang des mages massacrés, / Et des clairons vainqueurs insultent de fanfares / Les portiques du temple et les jardins sacrés.”
Le poème dédicacé à Bernard Lazare commence sur les ruines d’un temple détruit par des barbares. Certainement s’agit-il de la destruction du Temple de Jérusalem, car Mikhaël poursuit plus loin : “Voici qu’ils sont tombés le beaux gardiens du Verbe...” Ceux qui ont été massacrés ne gardaient pas des idoles, mais le “Verbe”. Quelle est l’existence juive sur les ruines du Temple ? Disons d’abord simplement que l’existence juive est tout entière édifiée sur cette destruction. On parle des “Juifs” depuis la destruction du Premier Temple et puis cette nomination s’est généralisée après la destruction du Deuxième Temple. Les Juifs, en l’absence du royaume et du temple, ont édifié leur socialité autour du livre, de ses lectures et réécritures. Le poète en est également issu. Qu’advient-il de lui ? Mikhaël écrit :
“Fugitif et donnant à la terre natale / La bénédiction de son sang précieux, / Le survivant de la tribu sacerdotale, / Le dernier des voyants jette un cri vers les cieux.”
Quel est ce cri ? “Dieu de la nuit...”, crie le voyant, et : “O mon Dieu ! Sauvez-moi des fleurs crépusculaires...”, “Irritez-moi, troublez ma bonne somnolence, / Que je puisse à la fin haïr mes ennemis.” Le poète nomme à la fois la brutalité sanguinaire de ceux qui ont détruit le temple et son incapacité à se révolter. Il ne peut que nommer, voir et donner à voir. Nous retrouvons une même incapacité à se révolter dans ce très extraordinaire texte en prose Halyartès. L’enfant-roi Phërohil vient d’être investit par les prêtres. Mais les Mages s’inquiètent, car des signes leur ont annoncé la fin de leur pouvoir. Halyartès d’Ecbatane, le Mage initiateur décide d’empêcher l'accomplissement de ces signes. Avec perversité et science il va s’occuper de Phërohil en l’accoutumant à éprouver tout le mal qu’il y a dans la création : “Il eut cette sublime et dangereuse impuissance, l’impuissance du mal. De sorte qu’un formidable ennui s’installa dans son coeur trop noble. Aucune mauvais pensée ne le soutint, ne l’enivra. J’avais tué sa vanité, et la pourpre même lui devint inutile puisqu’il ne pouvait plus s’enorgueillir de sa légitime royauté... Impitoyablement je l’avais forcé à la pitié... Mais réellement, profondément, il sentait les maux qu’il contemplait, et ce souverain, grâce au funeste don de la pitié, descendait jusqu’à être l’égal de ses suppliants.” Le jeune roi va en mourir. Ephraïm Mikhaël à propos de qui on a beaucoup glosé sur son thème de l’ennui, se présente lui-même sous les traits de Phërohil. L’ennui est cette inaptitude du mal, ou à la révolte ; car il faut un peu de mal en soi, comme un résidu de matière pour se révolter. C’est cependant la même connaissance du mal qui a lieu chez le visionnaire et chez le justicier révolté. Les deux font voir. Mais l’un agit socialement pour transformer le monde tandis que l’autre ne sait que nommer selon sa vision aussi réelle intérieurement qu’extérieurement. Mais cette nomination n’est-elle pas aussi une action à sa manière ? N’est-elle pas en écho à l’interrogation de Hölderlin : “Pourquoi des poètes en temps de détresse ?” N’est-elle pas aussi la vision de Spinoza que Mikhaël et Lazare lisaient et admiraient, et qui, dans l’Ethique, invite à voir les choses “sub specie aeternitatis”, sous un aspect d’éternité ?
Est-il lui-même, Ephraïm Mikhaël, “le dernier des voyants”? Et qu’est-ce qu’un voyant ? Le texte biblique, selon le canon juif, sépare les textes prophétiques de ce qu’on appelle les Ketouvim ou Hagiographes en français. Parmi ces écrits on trouve les textes de Daniel considéré plutôt comme apocalypticien et visionnaire. L’apocalypse en effet dévoile la vision de la fin, et celui qui en est le porteur est un sage ou un saint. Il ne se lance pas dans de grands combats sociaux et historiques, il est le voyant et toujours le dernier des voyants. Comme Ephraïm Mikhaël, à la différence de Bernard Lazare, combattant et prophète. Mais tous deux cependant ont vu et nommé la réalité. Exigence de justice du voyant et du prophète.
En conclusion
Nous savons, dans la tradition hébraïque, que lorsqu’un être jeune meurt, il donne quelque chose de sa vie à un autre que lui. Ephraïm Mikhaël aurait-il donné ce supplément de vie à Bernard Lazare ?
Il le guida d’abord vers Paris, pour “faire de la littérature” et “secouer les gens” (lettre du 7 juillet 1886). Mikhaël était lui-même venu à Paris, car son coeur était habité par “l’impur amour des villes” (L’Ame mièvre). Il sait que c’est vers la ville qu’il faut aller. Quitter la nature, la campagne, l’illusion du sacré ou de la complétude, les légendes et l’Orient mythologique pour aller vers la grande ville moderne. C’est là qu’il y a quelque chose à faire, au lieu même de cette impureté. Il écrivait dans son premier recueil, L’Automne, en 1886 : “D’invisibles clairons dans l’Occident / M’appellent... / Seigneur, conduisez-moi parmi les étrangers!” C’est là que quelque chose doit et peut commencer alors que rien n’est possible à la campagne : “Pour moi, écrit-il à Camille Bloch les 22 et 23 septembre 1886, un paysage m’apparaît toujours comme un endroit où il va se passer quelque chose. Seulement il ne se passe jamais rien. D’où l’inquiétude et l’ennui de voir les choses immuables, insuffisantes par elles-mêmes, et annonçant éternellement une suite qui ne viendra jamais.” Il n’aimait les paysages que vus en pleine vitesse à travers les vitres d’un wagon (lettre à Camille Bloch du 14 septembre 1887). Mikhaël a nommé le critère du commencement : c’est dans le monde humain que l’écriture attentive déverrouille l’intérieur et l’extérieur. Le poète voyant sort alors du dualisme métaphysique qui sépare l’âme et le corps, la forme et la matière. Il donne à voir. Sans mystère. Ni matérialisme comme l’école réaliste ni illusion d’intériorité comme une gnose. Et l’on sait que Saint Ephrem qui est probablement son double, selon les contes de Bernard Lazare, fut un adversaire de la gnose et un poète. Il n’y a pas de transcendance en littérature ; et la littérature, en tant qu’elle donne à voir, abolit la séparation de l’intérieur et de l’extérieur. Telle est l’expérience du commencement comme écriture, littérature.
Lorsqu’il s’approche de la fin, Ephraïm Mikhaël est un voyant et un sage. La vision qu’il transmet à Bernard Lazare est l’élément à partir duquel le prophète va vers lui-même, vers sa vocation. Prophète, il est celui qui par sa parole dénoue les images, et ouvre un avenir quand tout paraît impossible.
Lazare n’est pas un révolté dans la simple spontanéité, il garde de Mikhaël, cette dimension du sage qui lui permet de rester toujours rationnel pour accomplir sa tâche parmi les hommes.
Bernard Lazare est né de la vision d’Ephraïm Mikhaël. Il peut alors devenir prophète parmi les hommes. Faire de sa vie une invention de la vie qui ne soit pas le contraire de la raison. Cela aussi est juif. Alors, oui, Ephraïm Mikhaël aurait aimé “La Vie et la Beauté”.
Monique Lise Cohen
Bibliographie
Ephraïm Mikhaël,
Oeuvres. Poésies. Poèmes en prose. Paris, Lemerre, 1890
“Correspondance inédite d’Ephraïm Mikhaël et de Bernard Lazare” in : Les Ecrits français, n°3 et 4, 1914
Lettres à Bernard Lazare(1885-1889), suivies de Sillafrida. Edition établie par Philippe Oriol. Reims, Editions “A l’Ecart”, 1992
Oeuvres complètes. Aux origines du symbolisme. Sous la direction de Denise R. Galperin et Monique Jutrin. Tomes 1 et 2. Lausanne, L’Age d’Homme, 1995 et 2001 (Collection du Centre Jacques-Petit)
Elie Szapiro et Monique Lise Cohen, Ephraïm Mikhaël et son temps. Toulouse, Bibliothèque municipale, 1986
Monique Lise Cohen, Ephraïm Mikhaël n’est jamais allé à Vienne, précédé d’une Invention de la littérature (théorie du jugement dernier). Colomiers, Encres Vives, 2002
Philippe Oriol, Bernard Lazare, anarchiste et nationaliste juif. Paris, Honoré Champion, 1999
André Fontainas, Mes souvenirs du symbolisme. Paris, Editions de la Nouvelle Revue Critique, 1928
Jean Philippe, Bernard Lazare tel que Péguy l’aimait. Labarre (Ariège), 2001
Noël Richard, Profils symbolistes. Paris, Nizet, 1978
Lives of the Saints - June (St Ephrem et St Marcus)
http://magnificat.ca/cal/engl/june.htm
http://magnificat.ca/cal/engl/06-18.htm
(sites consultés en avril 2003)
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Mise à jour : 19 mars 2007