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La part des étrangers

LES JUIFS DANS LA RESISTANCE La part des étrangers et l’exemple de Toulouse

En 1940, les Juifs français ont vu tout leur environnement, toutes leurs aspirations et certitudes s’écrouler. Leurs liens avec d’autres Français se sont aussi bien souvent effacés. Les instances légales se sont tues à l’annonce des lois anti-juives du 3 octobre 1940. Aux yeux de tous, écrit Lucien Lazare, on présenta alors les Juifs comme les responsables de la défaite de la France. Par ailleurs des milliers de Juifs venant d’Allemagne ou de Pologne et qui avaient trouvé refuge en France, étaient internés dès 1939 dans les camps du Sud de la France.
Les Juifs fançais et étrangers entrèrent très tôt en résistance. Ils furent les combattants de la France Libre ou de la Résistance Intérieure, résistants de la MOI, des maquis juifs des Eclaireurs israélites ou de l’Organisation juive de combat, etc.
Quelles furent les spécificités de la résistance juive ? La Résistance nationale, dit l’historien L. Lazare qui fut résistant dans le mouvement des EI (Eclaireurs israélites) (1), a combattu avec l’appui des Alliés, le même ennemi que la Résistance juive. Mais cet ennemi, dit-il, « livrait deux guerres : l’une contre les Etats et l’autre contre les Juifs ». Et la guerre contre les Juifs allait plus vite que l’autre ! Adam Rayski, historien et ancien chef de la MOI dans la région parisienne, écrit : « Sur l’horloge de l’histoire, les aiguilles avancent plus vite pour les Juifs que pour les autres peuples. Le temps des autres n’est pas précisément le nôtre ». La Résistance nationale et les Alliés n’ont peut-être pas perçu - ou voulu percevoir - la dimension de la guerre d’extermination que les nazis livraient contre les Juifs.
L’idée générale de la Résistance et des Forces Alliées était que la victoire contre l’Allemagne nazie sauverait en même temps les Juifs. On entend souvent dire que les Juifs se seraient laissé « mener à l’abattoir comme des moutons », ou bien on entend encore affirmer à l’inverse que les Juifs ont su maîtriser leur destin et prendre les armes. Mais cette opposition entre la passivité et l’action, fondatrice du discours occidental, est-elle bien opérante pour parler de la réalité de l’existence des Juifs et particulièrement pendant cette guerre ? Renée Poznanski parle des « couples conceptuels infernaux... résistance/collaboration et résistance/passivité ».Ces concepts ne rendent pas vraiment compte de ce que fut l’expérience complexe de la résistance des Juifs si profondément ancrée dans l’urgence du sauvetage et même là où il y eut comme ce fut très souvent le cas, résistance armée. Le sauvetage fut une donnée essentielle, car à la différence de la population non juive où seuls les résistants et résistantes étaient pourchassés, toute la population juive civile – hommes, femmes et enfants – était menacée d’exclusion puis de mort. Ainsi la Résistance juive fut tout entière la volonté de sauver l’existence juive et jusqu’à sa mémoire en Europe. Des Juifs venus d’horizons différents, croyants ou non, communistes, sionistes, populations juives profondément intégrées à l’Allemagne, à l’Autriche ou à la France, provenant d’Europe centrale et orientale, se trouvèrent en France, au cœur de la tragédie, devant réinventer l’histoire juive ou ce fait simple qu’il existe un peuple juif malgré ou plutôt avec les exils et les bouleversement du monde.
Les Juifs de France étaient apparemment bien intégrés à la nation. La Révolution français avait fait adopter le principe de l’intégration individuelle, l’existence juive n’était plus une race à part ou maudite, et le judaïsme était devenu une religion comme les autres, pratiquée à titre privé hors de l’espace public. Or les réfugiés juifs venant de l’Est de l’Europe (Pologne, Russie,…), même ceux qui était communistes ou affiliés au Bund (l’Union générale des travailleurs juifs créée en 1897 en Russie, et affiliée à la IIIème Internationale), parlaient de « peuple juif ». C’est dans la rencontre avec les immigrés de l’Est et dans les luttes communes de la Résistance que la notion de « peuple juif » allait se faire jour. Il n’était plus véritablement question de « religion » comme cela avait été institué depuis la Révolution française, et il n’était bien sûr pas question de « race » comme cela était promu par Vichy et les nazis. Qu’est-ce que le peuple juif ? Cette dimension était-elle présente dans les combats de la Résistance en France et en Europe ? La place des Juifs dans la Résistance révèle-t-elle quelque chose d’inédit dans l’écriture de l’histoire européenne ? Quel mémoire avons-nous de ce combat ? Quel en est aujourd’hui l’héritage dans la construction de l’Europe ?

LA POPULATION JUIVE DE FRANCE A LA VEILLE DE LA GUERRE

A la veille de la Seconde Guerre mondiale, écrit Philippe Landau (2), la France métropolitaine compte environ 300 000 Juifs, soit 0,7% de la population. Parmi eux 90 000 viennent des anciennes communautés alsacienne, lorraine, portugaise et comtadine ; les autres majoritairement viennent de l’Europe centrale et orientale. Il y a en France 190 000 Juifs naturalisés qui ont fui après avoir connu les persécutions antisémites dans leurs pays d’origine.
Les immigrés du début du siècle ont fui les pogromes de la Russie tsariste, les violences antisémites de Roumanie et l’insécurité dans les Balkans. Près de 40 000 Juifs avaient choisi la France juste avant la Première Guerre mondiale. C’était bien la France, patrie des droits de l’homme, qui était la terre de leur espérance et de leur choix.
Terre d’accueil vers laquelle on aspirait : « Heureux comme Dieu en France !» La Révolution russe va bouleverser à nouveau les communautés. Pendant les années 20 près de 20 000 Juifs originaires de Russie, de Pologne et de Turquie trouvent refuge en France. L’avènement du nazisme et des dictatures en Europe accélère cette immigration. De 1933 à 1939, 35 000 Juifs polonais et russes, 150 00 Juifs tchèques, hongrois et roumains fuient vers la France. Des Juifs allemands, 5000 à 8000, s’exilent également.
Les populations juives en France connaissent de 1930 à 1939 un afflux de 100 000 personnes. Mais c’est peu par rapport aux 700 000 Italiens, aux 500 000 Espagnols, aux 400 000 Polonais, etc. Beaucoup de Juifs immigrés de Pologne, de Hongrie et de Roumanie vont militer dans des sections communistes. D’autres rejoignent les mouvements sionistes, la LICA (Ligue internationale contre l’antisémitisme), ou se fondent dans la nation française.
Ils voient cependant avec inquiétude les décrets-lois pris en 1938 à l’encontre des « étrangers indésirables » et l’évolution de la situation internationale. La plupart d’entre eux, ayant déjà connu les persécutions antisémites dans les pays de l’Europe centrale et orientale, pressentent la guerre et s'apprêtent au combat avec la France contre le nazisme.
Souvent ils sont plus lucides que les Juifs français assimilés dans la nation, depuis les anciennes communautés comtadines, portugaises, alsaciennes et lorraines. Ils vont pour beaucoup s’engager dans les bataillons de volontaires étrangers où le personnel combattant était composé de 30 à 50% de Juifs dans les 21è, 22è et 23è Régiments de Marche. 4000 à 5000 Juifs s’engagèrent dans l’Armée polonaise composée de 50 000 combattants. L’Armée tchécoslovaque composée de 8900 hommes comptait environ 15% de Juifs (dont 300 des Brigades internationales). La Légion étrangère comptait aussi beaucoup de Juifs : 5000 Juifs allemands et autrichiens. Philippe Landau, dans cette étude, ne tient compte que des incorporations effectives et non pas des candidatures refusées (environ 20%). En 1943, au moment de la libération de l’Afrique du Nord beaucoup de Juifs rejoignent les Armées alliées (environ 40 000 Juifs).
En 1940 après la défaite de l’armée française, les Juifs sont les derniers à être libérés, et certains quittent la caserne pour être conduits dans les camps de Vichy. Déjà en septembre 1939, pendant les premiers jours de l’état d’urgence la police arrêta 15 000 ressortissants « ennemis » (des Allemands et Autrichiens - juifs ou non - réfugiés en France). Ils furent internés à Gurs, Vernet et Saint-Cyprien. Près de la moitié de ces internés furent libérés dans les trois mois suivants à la faveur d’une désorganisation administrative. Pour les autres le piège se refermait, et les arrestations reprirent en mai 1940 par familles entières. Sur les 40 000 civils internés en France en 1940 il y avait 70% de Juifs. La législation de 1938 permettant aux autorités d’interner les étrangers avait frappé majoritairement la communauté juive qui ne représentait que 6% du total des étrangers en France. De ces camps d’où partiront dès l’été 42 les déportations vers les camps de la mort en Pologne.
Les Juifs de France, français ou étrangers, n’ont pas attendu les premières mesures discriminatoires ni les persécutions pour s’engager dans la résistance. De façon diversifiée et très tôt ils se trouvent dans les premiers mouvements de résistance. Beaucoup rejoignent le Général de Gaulle à Londres, dès l’appel du 18 juin 1940. Parmi eux, René Cassin, Raymond Aron, Jacques Bingen, Pierre Dac, le Général Boris, Maurice Schumann, Jean-Pierre Bloch, Pierre Mendès-France, l’écrivain Albert Cohen, etc. Les EI (Eclaireurs israélites) choisissent d’abord la résistance spirituelle et le sauvetage. Le Centre Amelot à Paris organise l’entraide. D’autres se lancent très vite dans la résistance armée : c’est le cas des Juifs communistes déjà habitués à la clandestinité au sein des groupes MOI (Main d’oeuvre immigrée) ou de l’« Armée juive » (AJ) qui naît à Toulouse en octobre 1940. Toulouse restera ainsi une tête de pont de la résistance juive pendant toute la guerre. Des Juifs également se trouvent parmi les fondateurs du « Réseau du Musée de l’Homme » ou encore du Mouvement « Libération ».
Que savaient les Juifs du sort qui les attendaient ? Ils en savaient certainement assez pour que joue à plein l’instinct de survie et que leur engagement soit si rapide et si diversifié. Ce sentiment impérieux de la survie explique l’importance des mouvements d’aide et de solidarité conjuguant des moyens légaux et illégaux afin de protéger toute une population civile.

LE SAUVETAGE

Les secours aux réfugiés et aux internés
La population des Juifs réfugiés dans le Midi est très importante. Ils sont démunis, exposés et souvent très pauvres. A Toulouse va se créer un premier centre d’assistance, le « Comité de bienfaisance israélite », dans l’immeuble de la rue Cafarelli où sera installée plus tard l’UGIF, ghetto administratif imposé par Vichy en 1941, où toutes les associations juives devaient être regroupées. Deux rabbins, René Samuel Kapel et Henri Schilli (né en Allemagne) (3) prennent l’initiative des premières activités de secours en faveur des internés des camps du Sud de la France. Cette action aboutira à la création du « Comité de Nîmes » et va permettre de maintenir en vie jusqu’à l’été 1942 plusieurs milliers de personnes. L’UGIF devient dès sa création le siège de la commission des camps et des distributions de secours.
Les Juifs communistes créent un mouvement « Solidarité » pour secourir les internés des camps. Le Comité des femmes distribue ou envoie des colis aux internés du camp du Vernet, très souvent anciens des Brigades internationales. La MOI apporte également une aide aux prisonniers politiques.
L’OSE (Oeuvre de Secours aux Enfants créée en 1912 à Saint-Pétersbourg) (4) assure l’aide médico-sociale et le secours aux enfants. Elle est présente à Toulouse et dans les camps d’internement. Elle organise son aide dans plusieurs départements autour de Toulouse, et à partir de 1941, elle crée des centres annexes (Pau, Montauban). Les responsables de l’OSE, le Dr Hofstein et Eva Cohen, sont arrêtés en 1943 et 1944. Le secours, même s’il emprunte des voies légales, est une action subversive aux yeux de Vichy et de l’occupant. Ainsi dès le début de la guerre, le secours et le sauvetage font partie intégralement de la résistance des Juifs. L’OSE ouvre également plusieurs maisons d'enfants, et l’ORT (Organisation, reconstruction, travail : institution d’apprentissage créée en 1880 à Saint-Pétersbourg) (5) gère une ferme école à Penne d’Agenais. Ces homes d’enfants sont une protection pour ceux qui ont été libérés des camps mais aussi la possibilité de revenir au judaïsme ou de le découvrir.

Le secours moral et spirituel
La synagogue de Toulouse, 2 rue Palaprat, va rester ouverte pendant presque tout le temps de la guerre, témoignant d’une véritable vocation de résistance spirituelle. Le rabbin Moïse Cassorla assisté de David Nahon, assure l’exercice du culte. Lorsqu’il doit se cacher en 1943, il est remplacé par Nathan Hosanski (né en 1914 en Russie). Avec l’afflux des réfugiés dans le Midi, d’autres communautés se constituent. M. Kahlenberg est rabbin à Montauban, Dan Aron est aumônier à Salies-du-Salat. Diverses communautés juives en Haute-Garonne, Tarn-et-Garonne et Tarn vont ainsi être reliées au consistoire de Toulouse.
Le 25 août 1943 les miliciens investissent la synagogue et menacent les fidèles d’exécution. Le siège de la synagogue finira sur intervention du préfet régional et de l’intendant de police. L’Aumônerie générale des camps dirigée par le grand rabbin Hirschler est établie, un temps, à Toulouse, et 17 aumôniers (dont 4 viennent d’Europe orientale et des Pays baltes) veillent à la tenue des cérémonies religieuses, à la pratique si difficile en ces temps de guerre et de persécutions des lois alimentaires et à l’éducation religieuse des enfants. Certains rabbins bénéficiant de leur immunité provisoire s’emploient à sauver des Juifs menacés de rafles et de déportations. Le rabbin Simon Fuks d’Agen obtient ces renseignements de la préfecture. D’autres seront déportés comme le rabbin Hosanski arrêté par la milice en janvier 1944.
De nombreux cercles d’études et de réflexion voient le jour, où se ressource la résistance spirituelle et la force d’inspiration de ce qui fut et qui est à travers les temps le peuple juif.

LES MOUVEMENTS DE JEUNESSE

Parmi les mouvements de jeunesse juifs, à côté du « Yechouroun » (religieux orthodoxe) et du MJS (Mouvement de la jeunesse sioniste), ce sont les EI (Eclaireurs israélites) qui vont exercer la plus large influence. Depuis l’action légale jusqu’au combat dans les maquis, ils rayonnent à partir de ces deux centres proches de Toulouse, Moissac (Tarn-et-Garonne) et Lautrec (Tarn).

Les Eclaireurs israélites
Dès 1940, les EI dirigés par Castor (Robert Gamzon) accueillent dans des troupes de style classique des jeunes qui ont encore leur famille et d’autres jeunes sans parents, dans divers foyers : fermes-écoles, exploitations agricoles, etc. Le financement est assuré par le « Joint », une grande organisation philanthropique juive américaine, qui s’occupe également de l’aide aux internés. Ces jeunes sont bien accueillis par les populations rurales qui ne les dénoncent pas et qui en général ne manifestent pas d’antisémitisme à leur égard.
Lors de la création de l’UGIF en 1941, les EI se fondent dans la « Quatrième direction de l’UGIF » chargée de la jeunesse. Le siège officiel se trouve à Moissac. C’est au sein de la Sixième section qu’est créé en août 1942 le « Service social des jeunes » dirigé par Marc Haguenau.
Le mouvement des Eclaireurs israélites a été avant, pendant et après la guerre, une matrice pour la renaissance de l’existence juive. Avant la guerre ils ont accueilli les jeunes juifs fuyant l’Allemagne et leur ont enseigné la francophonie. Ils avaient déjà réappris le judaïsme à des jeunes juifs français déjudaïsés. Mission qu’ils poursuivront auprès des jeunes juifs d’Europe centrale réfugiés en France. Pendant la guerre ils furent des cadres de la Résistance. C’est parmi eux qu’un illustre penseur d’origine russe, Jacob Gordin, a forgé pour la génération de la guerre et celles qui ont suivi, un renouveau de l’existence juive autour de la lecture et de l’écriture, telle qu’elle s’était définie elle-même au cours de deux millénaires d’existence du peuple juif depuis la destruction du Temple de Jérusalem par les Romains. Jacob Gordin naît le 22 octobre 1896 à Dvinsk, en Lettonie, dans une famille juive russe aisée. En 1899 la famille s’installe à Saint-Pétersbourg où Jacob fait des études brillantes, apprend l’hébreu et devient bachelier à l’âge de 15 ans. Il étudie la philosophie à l’université de Saint-Pétersbourg, s’intéresse au néo-kantisme. Proche de la révolution à ses débuts, il découvre des communautés juives hassidiques dans ses voyages en Ukraine et abandonne la voie révolutionnaire lorsqu’il découvre la cabale hébraïque. En 1923 il arrive à quitter l’URSS et vient à Berlin où il est admis dans l'illustre Académie pour la science du judaïsme. Il publie sa thèse et écrit pour l’Encyclopédie allemande du judaïsme. En 1933 il quitte l’Allemagne et vient à Paris. Il enseigne à l’école rabbinique et exerce la fonction de bibliothécaire à l’Alliance israélite universelle jusqu’en 1940. En 1937 et malgré de nombreuses recommandations (Cassirer, Scholem,...) la jeune université hébraïque de Jérusalem n’avait pas eu les moyens de lui offrir un poste. Il part en Corrèze avec sa femme où il est responsable d’une colonie des Eclaireurs israélites. Il y donne des cours. En 1944, après des menaces de rafles il se réfugie avec sa femme en Haute-Loire auprès d’un groupe de chefs des EI autour de Georges Lévitte. C’est ce qu’on a appelé « l’école des prophètes » qui est au fondement du renouveau de la pensée juive en France dans une alliance entre les études mystique, rationaliste et juridique.
A la Libération, il reprend un travail de bibliothécaire et participe à la création du CDJC (Centre de documentation juive contemporaine), donne un enseignement auprès des EI au Chambon-sur-Lignon et près de Moissac. Il fonde alors l’Ecole d’Orsay, et meurt très tôt en 1947 (6).

Le Mouvement de la jeunesse sioniste (MJS)
Regroupant plusieurs mouvements qui voulaient préparer les jeunes à partir dans les kibboutzim de Palestine, le MJS est créé en mai 1942, au congrès de Montpellier, à l’initiative de Simon Lévitte (né en 1912 en Russie) des EI. Cette création advient au moment où commencent les déportations, le MJS entre alors très vite dans la clandestinité et va se consacrer au sauvetage.

LE TEMPS DES DEPORTATIONS

Les nazis avaient décrété l’extermination du peuple juif lors de la conférence de Wansee au début de l’année 1942. Les trains de déportation sillonnèrent alors toutes les voies de l’Europe occupée vers les camps de la mort en Pologne. Serge Klarsfeld fait état de 66 nationalités touchées par la déportation (certaines nationalités n’ayant pu être déterminées). Ces statistiques qu’il présente dans son œuvre (7) sont issues des listes que M. Georges Etlin, interné au camp de Drancy, devait faire pour les Allemands. Parmi les 75 000 Juifs déportés de France, les nationalités les plus touchées par la déportation furent les Polonais (environ 25 000), les Français (environ 24 700 dont au moins 8000 sont les enfants nés en France de parents étrangers ou apatrides et dont 8000 environ étaient naturalisés), les Allemands (environ 7000), les Russes (environ 4000), les Roumains (environ 3000), les Autrichiens (environ 3000), les Grecs (environ 1500), les Turcs (environ 1300), les Hongrois (environ 1200).

L’ENTREE DANS LA CLANDESTINITE

L’information
La MOI (Main-d'oeuvre immigrée créée dès les années 30 par le PCF pour organiser les militants d’origine étrangère), s’efforce de faire connaître dès 1941, les massacres de Juifs à l’est de l’Europe. En 1942 ils sont déjà au courant de l’utilisation des gaz asphyxiants.
Emeric Epstein (né en 1914 en Transylvanie), résistant de la première heure, avec le groupe des Hongrois des Toulouse, organise la propagande anti-nazie. A Toulouse, le docteur Barsony (né en Hongrie), ancien des Brigades internationales, crée une section du MNCR (Mouvement national contre le racisme) où participent des intellectuels juifs et non-juifs.

Le sauvetage des enfants
Les responsables des organisations juives non communistes tentent d’abord d’empêcher les déportations par des voies légales. Puis une décision unanime s’impose, celle de sauver les enfants quels que soient les moyens. L’action de sauvetage entre alors dans la clandestinité. Plusieurs filières importantes sont à mentionner : le « Réseau Garel » de l’OSE et la « Sixième » (Sixième section de la Quatrième direction de l’UGIF) des EI. Il y eut également le groupe des « Hollandais » qui s’occupèrent du sauvetage des enfants en Hollande et poursuivirent la lutte en France. Ils furent déportés de Drancy dans le denier wagon de déportation. Moussa Abadi (né dans le ghetto de Damas en Syrie) et Odette Abadi créent à Nice le « Réseau Marcel » en relation avec l’évêque de Nice Mgr Rémond. Joseph Bass (né en Biélorussie), après son évasion du camp du Vernet d’Ariège, crée le « Réseau André » en relation avec le pasteur Trocmé du Chambon-sur-Lignon. Léon Poliakov, le grand historien (né en 1910 à Saint-Pétersbourg) appartint au Réseau André.
Après leur dispersion, les EI de Moissac qui échappent tous à la rafle d’août 1942, se regroupent dans plusieurs endroits, à La Malquière dans le Sidobre, noyau du futur maquis des EI, à Castres avec Gilbert Bloch ou à Montauban avec Leo Cohn (né en 1913 en Allemagne) où ils forment des groupes d’étude.
La « Sixième » va se consacrer principalement à la fabrication de faux papiers de très bonne qualité grâce à l’aide de la Mairie et de la Préfecture de Moissac. L’OSE et les mouvements sionistes travaillent avec la Sixième. Les EI gardent encore une vitrine légale dans l’UGIF jusqu’à l’arrestation de Marc Haguenau à Lyon en février 1944.
Beaucoup de sauveteurs du réseau Garel du nom de son fondateur Georges Garel (né en 1909 en Lituanie) et de la Sixième dont le responsable était Lucien Fayman, seront déportés ou fusillés. Mais le sauvetage des enfants, objectif essentiel de la lutte, fut très important : environ 9000 enfants juifs sont sauvés en France (dont 1500 grâce au Réseau Garel).

L’évasion par l’Espagne
A partir de l’invasion de la zone sud les frontières sont verrouillées, mais de bons passeurs (exigeant souvent au minimum 5000 francs par fugitif) font passer des Juifs par delà les Pyrénées. Certains rejoignent la Palestine où ils peuvent s’engager dans la « Brigade juive » de l’Armée britannique, et d’autres la France libre. Les réseaux d’évasion les mieux structurés sont créés par les mouvements sionistes. Le SER (Service d’évacuation et de regroupement) est créé par Jacques Roitman (né en 1922 en Pologne) à Toulouse, pour recruter des combattants pour la Palestine. Ils sont entraînés dans un camp du Tarn par Jacques Lazarus (né en 1916 en Suisse). Le SERE (Service d’évacuation et de regroupement des enfants) et la Sixième organisent également ces évasions. L’historienne Emilienne Eychenne estime que 500 personnes furent arrêtées et plus d’une trentaine de fugitifs refoulés d’Espagne sur environ 900 fugitifs juifs.

LA LUTTE ARMEE

L’Armée juive et les Eclaireurs israélites
En août 1940, à Toulouse, David Knout, poète d’origine russe, crée une organisation appelée « Forteresse juive » puis « Main Forte ». Poursuivi, il doit se réfugier en Suisse. Il était alors l’époux d’Ariane Skriabine (née en 1906 en Italie), la fille du grand compositeur Alexandre Skriabine, également nièce du ministre soviétique Molotov. Elle venait de se convertir au judaïsme, disant « Je veux être du côté des victimes ». Elle devint une des responsables du service de recrutement et de noyautage des effectifs. Elle accomplit de nombreuses missions dont des transports d'armes. En avril 1944, elle est agent de liaison entre la direction de l'OJC de Toulouse et les maquis du Tarn. Elle fait des séjours dans ces maquis et s'y entraîne au maniement des armes ainsi que la décrit Jacques Lazarus dans un article paru en 1945 dans le journal Renaissance, journal de la Résistance juive publié à Toulouse dès la Libération. Après le débarquement, elle est chargée de mettre en place une nouvelle filière de passage par l'Espagne pour rejoindre les Armées alliées. Le 22 juillet 1944, elle tombe dans un guet-apens ourdi par la milice, au 11 rue de la Pomme à Toulouse. Elle est assassinée sur place. Thomas Bauer (né en 1919 en Hongrie) est mortellement blessé, et les autres combattants parviennent à s'enfuir. Un mois plus tard Toulouse est libérée.
La mémoire d'Ariane-Sarah Fixman-Knout, née Skriabine, et de Thomas Bauer est maintenant évoquée chaque année à Toulouse dans la suite des manifestations officielles en commémoration de la grande rafle du 16 juillet 1942 (8).
Les premiers membres de l’AJ furent recrutés parmi les participants à un cercle d’études juives dirigé par le rabbin Paul Roitman (né en 1920 en Pologne), et comprenant notamment Arnold Mandel, Elie Rothnemer, Claude Strauss (l’écrivain Claude Vigée) et Maurice Hausner (né en 1921 en Pologne).
L’AJ fut officiellement fondée à Toulouse en janvier 1942 par un accord conclu entre Abraham Polonski (né en 1903 en Pologne) et Aron Lublin, un dirigeant sioniste démobilisé à Toulouse. Dans cet accord étaient formulés les objectifs, les modalités d’action et la structure de l’organisation. Le recrutement s’effectuait ainsi : « un ami amène un ami » afin d’éviter les dangers de dénonciation. Pour plus de sécurité, les groupes d’action étaient petits et cloisonnés.
En 1943, l’AJ signa un accord avec le Joint, qui s’engageait à lui fournir des fonds pour financer ses activités. Marc Jarblum, président de l’Organisation sioniste de France (réfugié en Suisse) fit transmettre également des sommes d’argent à l’AJ pour les besoins du sauvetage et de la lutte armée. L’AJ élargit les cercles de ses membres et le cadre de ses activités grâce à des accords de coopération avec le Mouvement de la Jeunesse sioniste et celui des Eclaireurs israélites de France. Au comité directeur qui comprenait Polonski, Lublin, Jules Jefroykin (né en 1911 en Russie) et Alexandre Kowarski, directeur de l’ORT-France, se joignirent Robert Gamzon et Frédéric Hammel des EIF ainsi que Simon Lévitte du MJS.
L’AJ qui sera appelée OJC (Organisation Juive de Combat) au printemps 1944 en mémoire des combattants du Ghetto de Varsovie, se constitue dans un but de lutte armée, d’actions dans les villes et de sauvetage. Elle va mettre en place un maquis et créer des corps francs dans les villes (Paris, Lyon, Grenoble, Marseille, Limoges, Chambon, Nice et Toulouse) pour démanteler les réseaux de dénonciateurs qui travaillaient pour la gestapo. Le premier corps franc fut créé à Toulouse, siège de la direction de l’AJ. Le chef de cette unité était Albert Cohen (né en 1916 en Argentine), proche collaborateur de Polonski. Polonski et Istisk Frydman furent arrêtés par la milice le 6 juin 1944. Polonski put s’échapper, mais Frydman, arrêté et torturé, mourut en déportation. En octobre 1943 l’AJ crée un Service d’évacuation et de regroupement (SER) dont le chef fut Jacques Roitman, dans le but de faire passer efficacement des groupes en Espagne. Plus tard Jefroykin fut envoyé à Barcelone pour établir des liaisons. Le 17 mai 1944, Jacques Roitman fut arrêté par la gestapo à la gare Saint-Cyprien près de Toulouse avec d’autres résistants dont l’aumônier Leo Cohn (né en 1913 en Allemagne), responsable des EIF. Roitman survivra à la déportation.
L’AJ organise des passages vers l’Espagne pour permettre aux jeunes combattants de rejoindre les Forces alliées dans la Brigade juive de Palestine. L’AJ, force de résistance armée, a une vocation sioniste, et le maquis salue à la fois le drapeau français tricolore et le drapeau bleu-blanc du futur Etat d’Israël. Le premier maquis de l’AJ est installé le 15 novembre 1943 à Biques dans la Montagne Noire (département du Tarn), puis il se déplace vers Lacaune, à La Jasse de Martinou en mars 1944, et enfin vers Lespinassière, le 25 avril 1944. Evoluant avec une certaine autonomie jusqu’au 6 juin 1944, il intègre le « Corps Franc de la Montagne Noire » (CFMN) dès l’annonce du débarquement. Le commandement du « Peloton israélite » du CFMN, fort de 800 maquisards, est confié au Lieutenant Leblond. Il prend le nom de « Maquis bleu-blanc » ou « Peloton Trumpeldor » (9)
Certaines formations de l’OJC sont encore peu connues des historiens et méritent d’être citées. Samuel Rudetzki était né le 5 janvier 1885 à Lodz en Pologne. Venu en France, il participe à la guerre de 14-18 comme engagé volontaire dans le 112è régiment. Il fit toute la guerre : Reims, Verdun; Chemin des Dames, etc. Au début de la seconde Guerre mondiale il s’engage dans la Résistance, au « Parti de la République et de la France », à Toulouse, puis dans le « Bataillon Prosper du Gers » (unité FFI) où il crée, avec son gendre Joseph Georges Cohen (français de père russe,) une formation de l’Organisation juive de combat. A la Libération il est Chef de la police locale à Fleurance (Gers). Il fut également membre du Comité Central de la LICA, chef de plusieurs groupements de Résistance et financier de ces groupes.
L’Armée Juive devenue Organisation Juive de Combat fut homologuée officiellement dans le cadre des Forces Françaises de l’Intérieur (FFI), sous le numéro 884, par la 17ème Région militaire dont le siège était à Toulouse. C’est Henri Broder qui se chargea de cette démarche.
Les EI (Eclaireurs israélites), sous couvert de légalité, intensifient leurs actions clandestines : faux papiers, filières de passage en zone Sud ou vers l’Espagne et la Suisse, planquage des juifs étrangers plus menacés, utilisation de fermes rurales (Lautrec, etc.) comme refuges. Puis ils choisissent aussi la route du maquis. Les chantiers ruraux établis jusqu’alors sont de véritables pépinières de résistance (Lautrec). Ils sont dissous le 22 février 1943, et les EI décident alors de créer un maquis dans le Tarn. Par leurs contacts avec les Monts de Lacaune, ils créent leur premier maquis à La Malquière en décembre 1943, et s’installent ensuite à La Roque (mars 1944) et à Lacado (avril 1944). Ce maquis devient la « Compagnie Marc Haguenau » intégrée dans les « Corps Francs de la Libération du Tarn » qui, dès juin 1944, sont placés sous le commandement de Pierre Dunoyer de Segonzac.
Ces deux maquis EI et AJ vont participer courageusement aux combats de la libération nationale. Ils sont intégrés à la Résistance générale et mettent en valeur leur appartenance juive : couleurs bleu-blanc pour le « maquis Trumpeldor », chants yiddish pour le « maquis Marc Haguenau ».

Les combattants de l’Armée juive , des EI et des mouvements de secours : leurs origines
Le livre Organisation juive de combat. Résistance / sauvetage. France 1940-1945 (11), cite environ 560 noms et nous permet d’avoir cette idée de l’importance des étrangers dans la résistance juive.
Voici d’après les pays d’origine :
Allemagne : Armée juive - OJC (4) ; Sixième (14) ; MJS (8) ; Aumôniers des camps (1) ; Réseau Garel (1) ; Réseau André (3) ; Hollandais (7).
Autriche : AJ-OJC (7) ; Sixième (1) ; MJS (4) ; Hollandais (3)
France : AJ-OJC (36) ; Sixième (104) ; MJS (17) ; Aumôniers (8) ; Réseau Garel (56) ; Réseau André (5) ; Réseau Marcel (2) ; Centre Amelot (3)
Belgique : AJ-OJC (2) ; Sixième (1) ; MJS (5)
Pays-Bas : Sixième (1) ; MJS (1) ; Hollandais (2)
Suisse : AJ-OJC (3) ; Sixième (1) ; Réseau Garel (1) ; Réseau André (1) ; Hollandais (2)
Italie : AJ-OJC (1) ; Réseau André (1)
Argentine : AJ-OJC (1) ; Sixième (2)
Turquie : Sixième (3)
Iran : Sixième (1) Syrie : Réseau Marcel (1)
Algérie : Aumônier (1) Egypte : AJ-OJC (1)
Grèce : AJ-OJC (2) ; Sixième (3)
Crimée : MJS (2) Hongrie : AJ-OJC (2) ; Aumônier (1) ; Réseau Garel (1)
Lituanie : Réseau Garel (1) ; Centre Amelot (3)
Pologne : AJ-OJC (23) ; Sixième (15) ; MJS (22) ; Aumônier (2) ; Réseau Garel (4) ; Centre Amelot (5)
Roumanie : AJ-OJC (3) ; Sixième (2) ; Réseau Garel (2)
Tchécoslovaquie : AJ-OJC (1) ; Sixième (2) ; Réseau Garel (1)
Russie : AJ-OJC (5) ; Sixième (3) ; MJS (3) ; Aumônier (1) ; Réseau Garel (2) ; Réseau André (1)
Ukraine : Sixième (2)
Moldavie : Sixième (1)
Biélorussie : Réseau André (1)
Nationalités non identifiées : AJ-OJC (36) ; Sixième (45) ; MJS (14) ; Aumônier (2) ; Réseau Garel (13) ; Centre Amelot (1)

Il y a environ 25 % de résistants venant de l’Est de l’Europe et particulièrement de la Pologne et 39% de Français. Les étrangers de toutes origines sont donc majoritaires.

Une autre source se trouve dans 2 cahiers manuscrits (incomplets) portant cette mention : « Association des Anciens Combattants et résistants Juifs de France – Amicale de Toulouse ; Région Sud-ouest » (12), et indique 160 noms de combattants et résistants avec leurs états de service et de résistance :
Allemagne : 26 ; Autriche : 6 ; France : 23 ; Suisse : 2 ; Hollande : 1 ; Espagne : 1 ; Salonique : 1 ; Smyrne ; 1 ; Turquie : 2 ; Algérie : 5 ; Maroc : 1 ; Argentine : 1 ; Hongrie : 1 ; Pologne : 40 ; Roumanie : 7 ; Transylvanie : 1 ; Tchécoslovaquie : 5 ; Galicie : 1 ; Lituanie : 1 ; Lettonie : 2 ; Russie : 5 ; nationalités non identifiées ou illisibles : 28
Il y a environ 14% de Français et environ 40% d’étrangers venant de l’Est de l’Europe et particulièrement de la Pologne. Les étrangers de toutes origines sont donc également majoritaires.
Le livre sur l’OJC indique les noms de résistants pour toute la France, alors que les cahiers manuscrits de Toulouse indiquent les noms des combattants pour la région du Sud-ouest. Il y avait bien évidemment plus d’étrangers dans le sud de la France, zone de Vichy, que dans la zone occupée. Quant aux Juifs français restés en zone nord, ils se sentaient ou se croyaient en sécurité, protégés par leur nationalité. Cette simple étude nous permet de voir que la MOI n’avait pas le privilège de regrouper des étrangers, et que le fait qu’il y ait 60% d’étrangers dans les mouvements juifs de résistance (OJC, EI , secours, etc.) témoigne d’une problématique importante pour comprendre l’existence du peuple juif à travers les bouleversements de l’histoire.

La Brigade Marcel Langer (le courant communiste)
Les combattants FTP-MOI opèrent essentiellement dans les villes, à Lyon, Grenoble, Marseille et Toulouse. Ils sont très jeunes, viennent de couches sociales et de nations différentes, souvent d’Europe centrale et orientale. Parmi eux il y a des hommes et des femmes dotn les parents avaient en général été déportés. Exclus de la communauté nationale française, ils mènent un ardent combat dans les rangs des FTP-MOI. Les Juifs communistes de la MOI vont jouer un rôle très important à Toulouse malgré leur faible nombre : information sur la Shoah, « Travail Allemand » (TA) confié à des militants parlant couramment allemand pour des missions dangereuses de renseignement (Gerhard Leo né en Allemagne). La MOI fournit également des combattants pour les FTP du Parti communiste. L’unité FTP-MOI, 35ème Brigade, se lance dans des actions spectaculaires de guérilla urbaine et d’attentats jusqu’à son démantèlement et à l’arrestation de ses militants en avril 1944. Ces jeunes militants ne peuvent compter sur la population toulousaine ni sur les autres mouvements de résistance, et le Parti communiste qui les finance, se révélera défaillant à leur égard, comme l’analyse Claude Levy dans son livre Les parias de la Résistance.
Beaucoup de jeunes juifs se retrouvent dans les rangs des FTP-MOI à Toulouse ou alors, déjà engagés dans les mouvements sionistes ou les EI, ils croisent les rangs de la Brigade. Judith Hytin (française d’origine bessarabienne), Emile Jacubowicz (d’origine polonaise(, Marc Brafman (d’origine polonaise(, les frères Lévy (français), Emile Wajda (hongrois), Jacques Kramkimel (polonais), Henri Gorans (polonais). On peut citer encore Paulette Urman (origine polonaise), Simondy Axel, Armand Hertz et Ladislas Mandel (hongrois), Michel Grilikhes (polonais), Boris Frenkel (français). Le premier chef de la Brigade, Mendel Langer (Marcel en France), était un juif polonais fils de militants du Bund, le parti socialiste russe. Sa famille avait émigré en Palestine pour fuir l’antisémitisme. Militant communiste, il vient en France où il adhère à la MOI. Il s’engage dans les Brigades internationales et se marie en Espagne où il a un enfant. De retour en France, il est interné, s’évade et devient le chef des FTP-MOI de Toulouse. Ceux qui ont fondé la Brigade s’appellent Mendel Langer, Jacob Insel, Joseph Wachspress, Abraham Mittelman, Zeff Gottesman, José Linares-Diaz, Wladislaw Hamerlak, Stefan Barsony, Luis Fernandez, Schimmel Gold.
Marcel Langer est arrêté en 1943, il est jugé par le tribunal de Vichy, condamné à mort et guillotiné. L’avocat général, Lespinasse, qui avait requis la peine de mort contre Mendel (Marcel) Langer arrêté le 5 février 1943 et guillotiné le 23 juillet 1943, avait déclaré : « Vous êtres juif, polonais, communiste. Trois motifs pour demander votre tête ». Les dirigeants qui lui succèdent sont Jan Gerhard, Jacob Insel et Schimmel Gold. Les militants de la MOI qui choisissent alors de s’appeler « 35ème brigade Marcel Langer », répliquent aussitôt en abattant un officier allemand puis l’avocat général Lespinasse en octobre 1943.
Toulouse étant au centre d’un réseau de communications et une ville où des industries importantes doivent travailler pour l’occupant, les militants se lancent dans une série impressionnante de sabotages et d’attentats : destructions de locomotives, exécutions de soldats allemands ou de dénonciateurs, etc. A la suite d’un attentat manqué contre le cinéma Les Variétés qui projetait le film de propagande « Le Juif Süss », des militants, David Freiman, Enzo Godeas et Rosine Bet sont blessés. Les responsables de l’organisation de cette action, Jan Gerhard, Judith Heytin et Ladislas Mandel sont sommés de s’expliquer. D’après Claude Lévy , c’est à partir de ce moment que les membres de la 35ème Brigade auraient été abandonnés. Le groupe est démantelé et la plupart d’entre eux sont arrêtés le 4 avril 1944. Certains seront déportés en Allemagne.
Le Parti communiste voulant une homogénéisation des combattants avait associé dès 1941 des Juifs français aux unités juives composées majoritairement d’étrangers. Et en 1943 il créa l’UJRE (l’Union des Juifs pour la résistance et l’entraide) qui prendra la suite de « Solidarité » et puis de la MOI, pour regrouper en une seule organisation Juifs étrangers et Juifs français.

EN CONCLUSION : DES JUIFS DANS LA RESISTANCE OU RESISTANCE JUIVE ? REFLEXIONS SUR LE PEUPLE JUIF

Annie Kriegel évoque David Knout qui publia en 1947, le premier livre consacré à la Résistance juive où il établit une typologie des formes de résistance en distinguant la lutte armée, l’action sociale, le travail d’assistance, la propagande et la résistance morale. Les Alliés et les mouvements de résistance visaient à la victoire militaire contre l’Allemagne nazie, mais les Juifs étaient confrontés à un autre problème. Dans la guerre générale contre les nations du monde, Hitler menait une guerre particulière contre les Juifs. Et cette guerre-là allait plus vite que l’autre. L’engagement des Alliés et des résistants visait à la victoire, l’engagement des Juifs visait nécessairement à la survie. Ce n’était pas des résistants armés qui étaient menacés de mort, mais toute une population civile. Comment faire survivre et sauver 300 000 personnes ainsi menacées ? Cela nécessite une combinaison de recours légaux et illégaux, et c’est ce qui explique que la Résistance juive fut animée tout au long de la guerre, non pas essentiellement par des organisations crées pour le besoins du moment comme dans la résistance générale, mais par des organisations traditionnelles, consistoriales, scoutes, bundistes, communistes, philanthropiques existant de longue date.
Renée Poznanski nous invite à cette réflexion : « Entendue comme la résistance des Juifs de France, elle (la résistance juive) est inscrite dans le pluralisme qui caractérise l’identité juive tout au long de l’histoire comme à l’époque moderne et de ce fait, ne craint ni les contradictions internes, ni la confrontation avec la résistance générale, une confrontation qui peut nous en apprendre autant sur le judaïsme de France et sa condition à cette époque que sur la société française dans son ensemble » (13). Le processus d’unification qui aboutit en juin 1943 à la constitution du « Comité de Défense » puis au début de l’année 1944, à la fondation du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) ne s’oppose pas à l’expérience d’une diversité qui se constitue ou se renouvelle dans des situations inédites. L’expérience juive est ainsi marquée du sceau de l’unité et de la diversité à travers les siècles.
L’histoire des communautés juives de Toulouse en est un exemple. Depuis la destruction du Temple de Jérusalem, ce sont des communautés d’origines différentes qui vont se succéder dans cette région. Il y eut les Judéens du premier siècle de notre ère, les marranes d’Espagne et du Portugal aux XVIè et XVIIè siècles, les Juifs du Comtat Venaissin à l’époque de la Révolution, des Juifs d’Alsace-Lorraine lors de la Guerre de 1870, des Juifs de Russie et de Roumanie à la fin du XIXè siècle, des Juifs de Turquie au début du XXè siècle, des Juifs d’Europe centrale et orientale fuyant l’antisémitisme et la persécution nazie à la veille de la Seconde Guerre mondiale et enfin des Juifs d’Afrique du Nord depuis les années 1960.
La diaspora juive a instauré pour la modernité l’histoire d’un peuple en exil qui choisit autour du livre une modalité singulière et universelle d’exister. Le livre n’est pas un objet de commémoration pieuse, il ne se referme pas sur l’identité muette de soi-même ou sur le retour à un passé mythologique. Il ouvre l’avenir et nous interroge dans l’altérité. Il n’y a pas de dépôt sacré des origines. Insistance sur la lettre, qui n’est pas l’enveloppe charnelle du sens, pour en faire résonner de nouvelles lectures dans la multiplicité des commentaires. Ainsi l’exil déborde la nostalgie du retour chez soi. Il s’inverse comme abolition des mythes, se présente comme fécondation de l’avenir. Les Juifs ont développé au cours de leur exil une socialité textuelle dans l’écriture de nouveaux textes (Talmud, Cabale, etc.). Inspirés par la culture des pays d’accueil, ils ont en même temps préservé une identité non pas fermée sur elle-même mais ouverte à la créativité. Façon inédite et féconde d’être « un peuple en diaspora ».
Lorsque les Juifs réfugiés des pays d’Europe orientale vinrent en France, ils apportèrent cette expérience d’être un peuple que la Révolution française avait voulu effacer. En effet, le principe de l’intégration des Juifs en France avait été donné par le député Clermont-Tonnerre en décembre1789, à l’Assemblée nationale constituante : « il faut tout refuser aux juifs comme nation et accorder tout aux juifs comme individus …». Les Juifs d’Europe orientale, réfugiés et combattants en France, dont le fort pourcentage se marque dans l’OJC tout autant que dans la MOI, apportent ce surcroît d’expérience dans les luttes contre la barbarie nazie.
La tourmente de la Seconde Guerre mondiale a nourri l’expérience d’être un peuple selon deux dimensions aujourd’hui toujours vivantes. Il y eut, pour les Juifs de l’OJC particulièrement, le combat pour la création de l’Etat d’Israël mais aussi et surtout, ce qui fonde l’existence juive, le développement et le renouveau des études et de la pensée.
La clé de l’existence du peuple juif ne serait-elle pas « l’école des prophètes » ouverte dans la suite de l’enseignement de Jacob Gordin ? La présence juive dans l’histoire occidentale a toujours été un élément obscur qui venait contrecarrer les logiques de l’universel. Les Juifs n’ont pas été résorbés dans le mouvement de l’histoire. En effet, les Juifs conjuguent ce que l’Occident avait séparé. Le dualisme métaphysique sépare le corps et l’esprit, la lettre et la signification intelligible. A l’intérieur du dualisme, on ne peut concevoir le passage d’un texte à un autre texte. Une écriture est soit soumise à une exégèse qui remplace sa littéralité par un contenu intelligible, soit cataloguée comme littéraire et poétique et alors rejetée hors du sens. Ce passage est pourtant l’expérience littéraire proprement juive. Expérience littéraire qui fait de la lettre une semence d’avenir et ouvre l’espace d’un surplus de sens où un peuple forge son avenir dans la rencontre d’autrui. Comme l’écrivait Emmanuel Lévinas, la rencontre de l’autre, le « rêveur d’avenir », c’est chaque fois la naissance d’un monde nouveau.
La clé de l’existence du peuple juif ne serait-elle pas « l’école des prophètes » ouverte dans la suite de l’enseignement de Jacob Gordin ? L’existence juive s’est poursuivie dans le monde malgré les tentatives d'anéantissement moral ou physique, malgré les exils. Particularisme qui ne se réduit pas à l’opacité d’une identité fermée sur elle-même puisque les Juifs viennent d’horizons du monde différents. Expériences multiples dans les échanges et confrontations avec les peuples du monde, mais qui ne se laissent pas absorber dans le brassage des civilisations. La multiplicité de l’engagement des Juifs dans la Résistance n’est-elle pas révélatrice de la diversité et de l’unité du peuple juif à travers l’histoire ?

Monique Lise Cohen

NOTES :
1. Lucien Lazare La Résistance juive en France.
Paris, Stock, 1987

2. Philippe Landau, « France, nous voilà ! Les engagés volontaires juifs d’origine étrangère pendant la drôle de guerre », in Les Juifs de France dans la Seconde Guerre mondiale. Revue Pardès, n°16. Editions du Cerf, 1992.

3. Nous indiquons la nationalité d’origine des combattants lorsqu’ils ne sont pas nés en France. Il faut remarquer également que beaucoup de résistants juifs nés en France venaient de familles originaires d’Europe centrale et orientale. La consonance de leurs noms le laisse entendre.

4. L’OSE (Œuvre de secours aux enfants) créée en 1912 à Saint-Pétersbourg, se consacre aujourd’hui encore à un travail médico-social principalement en direction des populations juives défavorisées. Pendant la Seconde Guerre mondiale elle a œuvré avec les mouvements de résistance et a été un des principaux acteurs du sauvetage des enfants juifs en France. Aujourd’hui elle accomplit une mission de service public en direction de la communauté juive et d’autres familles religieuses ou spirituelles. Depuis 1951 elle est reconnue comme Association d’utilité publique, selon ses trois vocations : accueil médical, monde de l’enfance et mémoire.

5. L’ORT (Organisation reconstruction et travail) a été créée en 1880 à Saint-Pétersbourg par un groupe d’intellectuels et d’industriels juifs pour venir en aide à leur communauté. Les Juifs en effet étaient interdits de résidence dans une grande partie de la Russie et vivaient dans un grand dénuement. Après la première Guerre mondiale l’ORT devient une organisation internationale. Elle fut interdite en URSS en 1938. Aujourd’hui il y a de nombreuses écoles professionnelles de l’ORT dans le monde et en France, dont une à Colomiers, près de Toulouse.

6. Jacob Gordin, Ecrits. Le renouveau de la pensée juive en France. Pref. Léon Askénazi, Ed. Marcel Goldmann. Editions Albin Michel, 1995 - A propos de l’Ecole d’Orsay, voir : L’école juive de Paris. RevuePardès, n°23. Editions In-Press, 1997 - Le CDJC (Centre de documentation juive contemporaine) fut fondé en avril 1943, dans la clandestinité, à Grenoble, à l’initiative d’Isaac Schneersohn (Juif français d’origine russe) qui avait réuni quarante personnes dans la pensée de préserver la mémoire. Ce qui arrivait alors aux Juifs était tellement terrible et invraisemblable que peut-être personne ne voudrait le croire par la suite. Ils décidèrent de trouver des documents, des preuves. I. Schneersohn et Léon Poliakov réussirent, dans des conditions inouïes, pendant la guerre même, à récupérer des archives comme les archives du CGQJ, de l’Ambassade d’Allemagne et de l’Etat Major, de la délégation générale du gouvernement de Vichy, du service anti-juif de la gestapo, etc. A la Libération (beaucoup des membres fondateurs avaient été déportés), le CDJC fournit des pièces indispensables pour les Procès de Nuremberg. Aujourd’hui c’est un très grand centre de recherche européen qu’abrite de Mémorial de la Shoah.

7. Serge Klarsfeld, La Shoah en France. Editions Fayard, 2001

8. Vladimir Khazan, “Le monde par mon souffle vit” : Contribution à la biographie d’Ariane Skriabine, in Slavica occitania, n°10. Toulouse, 2000 Hélène Menegaldo, Ariane Scriabina (1906-1944), héroïne de la Réistance française à Toulouse, in Slavica occitania, n°7. Toulouse, 1998

9. Valérie Ermosilla, La Résistance juive dans le Tarn, 1939-01944. Réalités et représentations. Mémoire de maîtrise sous la dir. de Pierre Laborie et Jean Estèbe. Toulouse : Université de Toulouse-le-Mirail, 1987. - Jean Estèbe, Les Juifs à Toulouse et en Midi toulousain au temps de Vichy. Editions des Presses Universitaires du Mirail, 1996 - Monique Lise Cohen, Jean Louis Dufour, dir. de publication, Les Juifs dans la Résistance. Editions Tirésias, 2001

10. Pierre Léoutre, « Un groupe de résistants juifs dans la Bataillon Prosper du Gers : mémoires, témoignages et archives », in Bulletin de la Société Archéologique, Historique, Littéraire et Scientifique du Gers, n°378, 4è trimestre 2005. Cette recherche a été faite à partir des Archives de l’Organisation juive de combat (collection Joseph-Georges Cohen) - A propos de la LICA : « Ligue internationale contre l’antisémitisme », fondée en février 1928, devenue LICRA ( Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme ) lors de son 33ème congrès national en 1979

11-12. Organisation juive de combat. Résistance / sauvetage. France 1940-1945, sous la direction de Jean Brauman, Georges Loinger et Frida Wattenberg. Editions Autrement, 2002 - et « Registre-Matricule. Association des Anciens Combattants et Résistants juifs de France. Amicale Toulouse. Région : Sud Ouest » Cahier n° 1, Cahier n°2 Ces cahiers manuscrits (incomplets) proviennent des Archives de l’Organisation juive de combat (collection Joseph-Georges Cohen) qui sont déposées au Centre de documentation juive contemporaine (Paris, Mémorial de la Shoah) et à la Bibliothèque municipale de Toulouse. Voir également le site internet : http://www.resistancejuive.org Beaucoup de noms de résistants sont encore inconnus, car l’histoire de la résistance juive n’a pas été encore entièrement écrite. Par exemple les historiens disent qu’il y avait 800 maquisards dans le « Peloton israélite » du Corps franc de la Montagne Noire (CFMN), mais le livre sur l’OJC cite 560 noms pour l’ensemble des mouvements de résistance (OJC, EI, secours, etc.). Plusieurs raisons l’expliquent : lorsque les Juifs survivants ont découvert en 1945 l’horreur de l’extermination, beaucoup n’ont pas cherché à faire attester leurs faits de résistance et certains ont quitté l’Europe pour s’engager dans les combats pour la création de l’Etat d’Israël. De façon générale, dans l’historiographie de la guerre, les noms qui ont été recherchés sont ceux des victimes parties dans les massacres et les fumées des crématoires. Notre mémoire étant leur sépulture. L’histoire de la Résistance juive est une histoire qui s’écrit tardivement.

13. Renée Poznanski, Les Juifs en France pendant la Seconde Guerre mondiale. Hachette, 1997

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